Kezaco : les logs sont une série de textes introspectifs autour du jeu vidéo, destinés à interroger leur importance en général, au sein d’une vie en particulier. Bien qu’empreints d’éléments autobiographiques, ils se veulent un travail de fiction.
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28/04/2017 15:35 : : AutoLog started
28/04/2017 15:35 : : … name is: john
28/04/2017 15:35 : : … downloading functions
28/04/2017 15:35 : : … downloading script.txt
28/04/2017 15:35 : : … shuffling
28/04/2017 15:36 : : Traceback
28/04/2017 15:36 : : … filename: log.exe
28/04/2017 15:36 : : … domain: johnny
28/04/2017 15:36 : : … run_pc_app(options.pc_settings_module, options.pc_root)
28/04/2017 15:36 : : … run_writing_app(options.pc_writing_module, options.pc_root)
28/04/2017 15:37 : : … connecting
28/04/2017 15:37 : : …………… downloading message
28/04/2017 15:37 : : …………………………………………….
…………………………..n’ai pas d’autre souhait. Mais la probabilité, la simple éventualité, à vrai dire, que ce message vous parvienne est des plus faibles. Cinq semaines m’ont été nécessaires pour la démonter cette maudite machine dans son entièreté. J’ai beau avoir quelques notions techniques, en avoir examiné et inventorisé les différentes pièces, i’ignore encore tout, à ce jour, de son fonctionnement exact. Réparer prête à rendre l’âme.
àBonjour ? Vous me recevez ? Je crois que ça a l’air de marcher. Ça a réellement l’air de marcher. J’étais à deux doigts de renoncer. Des jours que j’essaye de faire fonctionner cette maudite machine ! ù!oi6′ ! …………………………………………………
Oups ! Je n’aurais peut-être pas du taper du poing… Mais si vous me lisez, c’est bon signe !
Je ne sais à qui j’écris, mais j’écris : c’est déjà ça. J’ignore quand ce message vous parviendra exactement. Avec ces appareils la connexion est asymétrique. Ce qui signifie que la connexion s’établit d’une part de mon côté, et d’autre part du votre. J’ai néanmoins pris soin de dater tous mes logs. De cette façon, même si cette machine devait être amenée à s’arrêter, le réseau garderait une trace exacte de mon passage. Je ne suis pas sûr de savoir où je vais exactement, avec ça. Mais qui ne tente rien n’a rien……………………………………………………
28/04/2017 15:41 : : …………… connexion lost
28/04/2017 15:41 : : Loopback
28/04/2017 15:41 : : … name is: memento
28/04/2017 15:41 : : ……………
28/04/2017 15:42 : : … connecting
Vous lisez toujours ? J’ai perdu la connexion, l’espace d’un moment…………………….
28/04/2017 15:43 : : …………… connexion lost
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28/04/20XX 15:35 : : AutoLog started
28/04/20XX 15:35 : : … name is: john
28/04/20XX 15:35 : : … downloading functions
28/04/20XX 15:35 : : … downloading script.txt
28/04/20XX 15:35 : : … shuffling
28/04/20XX 15:36 : : Traceback
28/04/20XX 15:36 : : … filename: chapitre01_firstlog.exe
28/04/20XX 15:36 : : … domain: johnny
28/04/20XX 15:36 : : … run_network_app(options.network_settings_module, options.network_root)
28/04/20XX 15:36 : : … run_text_app(options.pc_text_module, options.pc_root)
28/04/20XX 15:37 : : … connecting
28/04/20XX 15:37 : : … downloading message……………………
« Que chacun parle au moins une fois dans sa vie. (…) Pour dire ce qu’il sait, avant de disparaître. Parler une fois. Pour donner un conseil, transmettre ce que l’on sait. Parler. Pour ne pas être de simples bestiaux qui vivent et crèvent sous ce soleil silencieux. »¹
Ça commence en ces termes, une histoire de rien du tout. Ça commence avec une envie de parler, d’écrire tout la normalité du quotidien, avec ses moments hors norme de banalité et sa fulgurante sobriété. A dire vrai, je n’ai rien vécu qui daigne, véritablement, être transmis. Je n’ai pas voyagé, vous savez. Rien vu qui daigne être raconté. Rien fait, en somme, qui ne mérite d’être écrit. Pourtant, j’écris. Je badigeonne les pages blanches de lettres, de mots. Au sortir des trousses à lettre et des tiroirs à virgule, parfois j’ai l’impression de tendre vers quelque chose. De toucher à la plénitude. Celle de la page comblée, du sentiment de… faire. Aussi malhabiles soient mes textes, lorsque je vous raconte la vie, là-bas, dans les jeux vidéo, lorsque j’y décris ces paradis à émotions, ces enfers de solitude, je parle de jeux, bien sûr, mais pas seulement. Je parle de ce que j’ai vécu. De ce que nous avons tous vécu.
Comme vous, j’ai joué pour bien des prétextes. Pour me dépayser, vivre des aventures. Pour me tester, mobiliser toutes mes capacités vers un objectif. Pour passer le temps. Pour m’ignorer ; ou, par mégarde, m’y trouver. J’ai exploré tous les genre avec une curiosité renouvelée, parcouru les friches industrielles et les projets de bouts de ficelle. D’un bout à l’autre, j’ai découvert des propos, des vécus, des sensibilités culturelles dont j’ignorais tout. Pour la personne que je suis, tétanisés par les remords solitaires, l’incertitude et la pauvreté², m’immerger dans ces univers m’a permis de recouper à l’angoisse. Mais ils m’ont aussi fait voyager – au delà de ce corps inerte, de cette maison bloquée dans le temps. J’ai visité des imaginaires grandioses ou torturés que je n’aurais jamais soupçonnés. Leur richesse et leur complexité s’est écoulé en moi comme de l’eau dans un lac. D’abord avec une évidence torrentielle, puis avec le calme voluptueux d’un ruisseau. Aujourd’hui, mon cœur palpite. A la vue et au son de ces œuvres qui m’ont marqué, un frisson me parcourt et je me sens faillir.
Je m’interroge parfois, sur le coût de tout cela. Ça me travaille. Parce qu’il y en a nécessairement un. On paye toujours d’un peu de soi, d’un peu de mortalité. Ce temps passé à jouer, c’est évident, j’aurais pu le passer autrement. A découvrir des personnes, à apprendre des choses. A devenir quelqu’un d’autre. Mais je l’ai passé en ma seule compagnie. Pas que ça ait été vain. J’ai appris à me connaître, notamment. Mais dans le confort silencieux des chez soi, il est si aisé d’oublier le reste du monde. D’en faire abstraction. De l’omettre. Pendant très longtemps, il se trouve que c’est ce que j’ai désiré. Oublier les autres, m’oublier moi. Appuyer obstinément sur pause. Aujourd’hui, je réalise combien le temps s’est écoulé. Constat à mi-course : ce n’est pas brillant. J’ai beau réfléchir, je peine à me remémorer des moments ou j’aurais été heureux. Des moments de joie et d’insouciance enfantine, oui. Mais des moments de bonheur sincère, je n’en trouve aucun. Vous pensez que c’est navrant ? De vous apercevoir que votre vie se résume à ça, je veux dire. Sans doute. Mais je vais vous dire : je préfère ne pas trop m’appesantir. Vivre, je me dis, c’est déjà pas si mal.
28/04/20XX 15:41 : : Attached
¹ tiré de Le Soleil des Scorta (2004), Laurent Gaudé
² « (…) avec leurs tentations et leurs remords solitaires, avec toutes leurs maladies et leur douleur qui les isolait sans fin, avec leur incertitude et leur pauvreté, ils étaient contraints de ressentir fortement les choses. Et, les ressentant fortement (et fortement, qui plus est, en solitude, dans l’isolement désespérément individuel), comment pouvaient-ils être stables ? » – Le Meilleur des Mondes (1931), Aldous Huxley
…………………………….. log ended.