Rattraper le temps perdu

Rattraper le temps perdu fut un projet de retrouvailles avec de « vieux » jeux qui font rêver, lancé entre 2013 et 2015. Réussites, échecs, obstacles et rencontres : le texte se voulait candide, épanché et ouvert sur cette quête enfantine. Le projet a été clos après 9 parties (dont plusieurs qui n’ont jamais paru).

Une année naissait – du moins, mathématiquement. Cela signifiait aussi qu’une année s’était écoulée et, avec elles, de précieuses résolutions, disparues. Il faut l’avoir ce désir, dans les balbutiements de janvier, de se fixer de nouveaux objectifs. Il faut souhaiter circonvenir à l’imprévu, et se dire que quoi qu’il arrive, dans les onze mois suivants, « ça » y sera.

« Ça », en 2012, j’avais trouvé ce que ce serait : j’allais jouer « retro ». Une manière, pour moi, d’explorer les valeurs sûres du passé, et de jeter mon dévolu sur les laissés-pour-compte de ma ludothèque. Mais ce fut une année qui, sans totalement échapper à mon contrôle, ne fut jamais entièrement sous le mien. Je sortais à peine de 2011, année de la démesure et de l’excès ludique, et me vis par ailleurs grignoté, les mois faisant, par de nouveaux doutes quant à mon devenir dans le milieu. Des pensées qui immobilisèrent même la création du Johnny’s Game Café.

Avec 2013, cette fois, ce serait la bonne. Je passais quelques soirées ennuyé et indécis au regard de l’entreprise. Un soir en particulier, je rodais, même, devant ma collection de jeux PS2, à me demander lequel serait le plus approprié. Parce que je commencerais forcément par là, ce n’était même pas ouvert à la discussion. La Playstation 2 fut la console qui me vit m’éparpiller et ne pas finir un nombre consternant de jeux. J’avais déjà cherché me rattraper, auparavant. J’avais glissé le disque de Jade Cocoon 2, ou encore de Trapt, pour les reprendre ou j’en étais, comme si de rien n’était, et les terminer. Ce n’était alors ni noble ni enviable : j’avais simplement souhaité les ajouter à mon tableau de chasse. J’étais dans cette accumulation frénétique, une sorte de Surmoi irrationnelle tentant de terminer un dernier jeu avant la fin du mois, avant la fin de l’année. Certes, il aurait pu y avoir pire, comme jeux, et même dans cet état-là je n’aurais jamais choisi un jeu médiocre. Jade Cocoon 2, je l’aurais peut-être fait tout pareil, aujourd’hui. Trapt, en revanche ? J’en doute.

Sans clarté aucune, je ne songeais pas immédiatement à Xenosaga 2, dont le boîtier était posé sur la console, et le jeu sans doute quelque part à l’intérieur. Sans qu’elle fut jamais perdue, j’en avais retrouvé la notice quelques mois auparavant dans le brouahaha de la pièce. C’était rare que je laisse ainsi traîner partie d’un jeu complet. C’était mon genre, en revanche, de tarder à ce qu’il en soit autrement. J’avais dû, machinalement, poser les yeux dessus plus d’une fois, et en avoir le nom me caresser subrepticement l’esprit. Cette fois, je le regardais vraiment. Son plastique et son papier coloré me charmèrent. Ce serait mon point de départ.

Les retrouvailles avec Xenosaga 2 s’avérèrent singulières. J’échouais fort logiquement à me rappeler à quel endroit je me trouvais, et ce que j’y faisais ; mais je gardais en mémoire les premières heures du jeu, rendues mémorables par divers problèmes techniques alors que j’espérais tirer profit de mon disque dur PS2. (J’avais finalement renoncé et joué directement avec les DVD.) Après m’être rafraîchi la mémoire, je m’aventurais d’entrée dans un nombre considérable de quêtes secondaires, une façon punitive de rattraper le temps, compte tenu de leur intérêt ludique très limité, mais aussi une manière de tester ma motivation. Elle battait toujours. Je me surpris même à explorer l’idée de finir le jeu au maximum, avant d’apprendre que certains éléments (telle que la très particulière mission GS 32, qui consiste à rembourser la dette du capitaine de l’Elsa) aurait dû être entrepris plus tôt, surtout en ayant acquis aussi tardivement le talent permettant de dérober des objets. Je terminais néanmoins le jeu, satisfait d’y être revenu, sans avoir l’audace d’écrire spécifiquement dessus, mais avec la ferme intention de faire un jour Xenosaga 3, et de terminer en apothéose avec Xenogears.

Ce qui s’avéra le plus compliqué, finalement, ce fut l’après Xenosaga 2. La cohue des noms et des idées. Je me laissai tenter, deux, trois fois ; je picorais, un peu malgré moi. Je cherchais implicitement à m’assurer de la prochaine destination. Se laisser porter pouvait avoir du bon, mais j’allais devoir être plus rigoureux, si je voulais avoir une chance de terminer cette quête-là. Je voulais surtout pas me « cramer », à nouveau.

Si il y a indéniablement un intérêt à quitter, l’espace d’un moment, les graphismes léchées d’une génération obsédée par le plausible, j’allais également à la rencontre d’un jeune froussard de moins de vingt ans ne parvenant pas à finir ses jeux, à travers ce voyage dans le temps tout relatif. Je gardais cette l’impression que compléter les jeux de mon passé n’était peut-être rien d’autre que me compléter. Quoi qu’il en fut, je pressentais que l’aventure serait belle, et gratifiante.

A nouveau, je portais mon regard à travers la pièce. J’avais choisi à quoi jouer ; ce serait un 27 novembre 1998.

Je faisais l’acquisition de Legacy of Kain : Soul Reaver plusieurs mois avant mes résolutions de janvier. J’en avais alors reçu le boîtier brisé, déçu, et l’avais laissé de côté, comme on range sa déception dans un tiroir. J’avais trouvé dans ma mémoire des images d’un jeu Playstation alors porté aux nues. Je revoyais ce personnage décharné, aux ailes imparfaites et aux griffes saillantes. N’obtenant une Playstation – une PSOne, en fait – que longtemps après l’arrêt de sa production, je n’avais fait, jusqu’à présent, que voir les autres y jouer. Je passais tout de même, sans explication aucune, à côté de la version Dreamcast – que je possédais alors – sortie un an plus tard. En choisissant Soul Reaver, douze années plus tard, je n’étais pas sûr qu’il corresponde à un indispensable, et ne le suis toujours pas à l’heure actuelle. Mais Soul Reaver fut certainement un jeu à la saveur unique, singulier et imparfait, qui goûte comme dix ans d’âge, et davantage encore. Ce fut également une occasion unique de redémarrer la Dreamcast, ayant logiquement préféré cette version.

La Dreamcast, son horloge jamais à l’heure*, et ses bips qui nous réconfortent : des réminiscences d’un quotidien révolu. Il est immuable, ce plaisir à démarrer une console perpétuellement décalée dans le temps – à différents niveaux. La Dreamcast, « machine à rêves », comme on aimait à l’appeler, machines à souvenirs surtout, pour ceux qui n’y voient pas qu’une expression mais le territoire d’univers uniques et fugaces, brièvement exportés sur Playstation 2 et Xbox, mais disparus depuis.

Rien qu’avoir à nouveau utilisé la Dreamcast, en fait, s’avéra satisfaisant. A chaque démarrage, de retrouver le bip des cartes mémoires, l’écho des lettres qui apparaissent et du logo qui se dessine, non pas de manière occasionnelle, cette fois, le temps d’un Worms Armageddon ou d’un Chu-chu Rocket, mais soir après soir, sauvegarde après sauvegarde, avec l’impression fugace de faire quelque chose d’extrêmement normal. De compléter un jeu.

On se quittait un 7 décembre 1998.

*Dans le cas d’une utilisation occasionnelle. La Dreamcast disposant d’une mémoire rechargeable, une session de 2h suffit théoriquement à la recharger pour 20 jours. (Source.)

Plus d’une année s’était écoulée depuis que je m’étais décidé à « jouer retro » et j’avais échoué à m’y tenir aussi souvent que je l’aurais souhaité. En cause : l’absurde boulimie qui, dès le début de cette aventure, me vit compléter Ivy the Kiwi (oui), Xenosaga 2 et Soul Reaver en à peine moins d’un mois. Je cherchais à en faire trop et trop vite. L’envie de jouer épuisée je complétais, ça et là, des jeux guère mémorables ; à l’exception faite de l’intéressant Tomb Raider. Ce qui témoignait probablement, sans que je m’en sois aperçu, que je m’étais finalement laissé rattraper – pour être à nouveau bercé – par le grand cortège des jeux beaux et nouveaux, et l’étrange fascination que suscitait de les voir tour à tour se partager l’attention.

Ce fut au cours de cette année-là que j’explorai l’idée de me lancer dans Lunar: Silver Star Story Complete pour la première fois. Jusque-là les Lunar m’étaient restés assez mystérieux. Si le manque de notoriété était parfois indicateur d’un manque de qualités intrinsèques, Lunar semblaient plutôt devoir appartenir à cette catégorie de jeux atypiques, réservés aux connaisseurs ou au curieux, ou en tout cas masqués par la masse des RPG Playstation – et sinon par les plus connus d’entre-eux. La réaction de Virginie – amie et connaisseuse de longue date – sitôt qu’elle appris ma décision fut encore le meilleur des indicateurs. Elle se montra en effet enthousiaste, elle qui semblait en avoir gardé un si bon souvenir. Nous avions des goûts le plus souvent similaires, et bien qu’elle m’alerta que le style était assez vieillot, notre échange renforça ma décision. Il ne manquait plus qu’à régler un menu détail – un si spécifique au jeu vidéo : quelle version choisir. Un remake PSP était en effet sorti deux années plus tôt. La démo de ce dernier essayé, je faisais toutefois le choix la version Playstation, la trop grande facilité et le style graphique radicalement différent de la version PSP ne m’ayant pas convaincu. En faisant ce choix, je faisais aussi le choix au plus proche de l’œuvre originale.

Pourquoi, alors, à peine lancé, arrêtais-je d’y jouer quelques jours plus tard, je n’en savais rien à ce moment. Il était possible que malgré l’enthousiasme du moment le style ou la difficulté toute relative m’aient finalement rebuté. Ou, plus probablement encore, cela avait-il quelque chose à voir avec cette « envie de jouer épuisée », qui m’empêcha d’avoir l’énergie nécessaire à la complétion d’un RPG. Un peu honteux, je m’abstenus de mentionner à nouveau le jeu, préférant maintenir l’illusion que je l’avais continué, et fini, sans en avoir fait des tonnes. En matière de jeu vidéo, et plus particulièrement encore quand il était question de jouer plusieurs dizaines d’heures à un même jeu, il était souvent affaire de circonstances. Et, clairement, les circonstances sous lesquelles je commençai Lunar pour la première fois ne furent pas les bonnes.

Un an plus tard, un croisement de circonstances différentes. Je pleurais le départ de ma Xbox 360, achetée quelques sept années plus tôt, disparue dans le silencieux vacarme des diodes rouges clignotantes, lorsque que je me vis, moi-aussi, frappé de dysfonctionnements : un virus taquin, intéressé par mon cas, m’immobilisa entièrement. Accablé par la fièvre et les maux de tête, j’écartais plus impérieusement encore l’idée des jeux vidéo, en dépit de leurs vertus dépaysantes, particulièrement convoitables en la circonstance. Je ne me sentais tout simplement pas capable de réfléchir, ou bien même d’agir. Je meublai donc mes journées avec ce qui me restait le plus tolérable : des quantités innommables de séries télévisées. Tant et si bien que les histoires qui m’étaient contées en perdirent leurs qualités passivement distrayantes, et je me vis peu à peu rattrapé par une réalité douloureuse.

J’étais désespéré de me changer les idées lorsque la question des jeux vidéo se présenta à nouveau comme une alternative. J’essayai d’abord tout ce qui me passa par l’esprit, en oubliant même avoir déjà fini Just Cause 2. Délire fiévreux. L’heure passée sur The Cave, acheté un rien plus tôt, ne fit elle qu’accentuer mon mal de tête. A nouveau droit comme un pic devant ma collection de jeux, j’étais en recherche de solutions ; farfouillant les eaux tumultueuses à la recherche de la perle. Mon regard agrippa les jeux Playstation, en disette, et plus particulièrement encore Grandia premier du nom, que je tentai deux heures durant. Un jeu qui s’avéra, dans l’instant, un rien trop bavard et enfantin – avais-je vraiment l’air de vouloir jouer à cache à cache ? Avant que l’idée d’un jeu déjà familier ne me frappe finalement, dans ce qui s’apparenta être un éclair de lucidité : Lunar: Silver Star Story Complete.

En quelques heures à peine Lunar me tapa dans l’œil et me donna envie d’y revenir très rapidement. D’y rester, même, plusieurs heures durant. L’humour un rien potache, la connivence entre les personnages – les dits personnages –, et cette possibilité d’une quête, au début du jeu dérisoire, dressaient un univers engageant et léger, au moins de prime abord. J’étais totalement enivré par la sincérité de cette bande d’amis partant naïvement à l’aventure pour se voir heurtés par de plus grandes gravités, mais aussi par le style délicieusement rétro de l’esthétique – plantée quelque part entre la Playstation et la Super Nes et héritée, il s’avéra, de l’original sorti sur Mega-CD – et par ses mécaniques de jeu de rôle au tour par tour, aussi limpides qu’idéales quand on appréciait prendre son temps. Sous le charme désuet d’un jeu oscillant avec intérêt entre humour et drame, j’en oubliais la douleur et l’abattement, rescapé que j’étais par cet univers consolatoire, arraché à mon corps en pagaille. « Un bon jeu vidéo vous communique la force de vivre dans le monde réel. », disait-on.>/p>

Sans m’en apercevoir, je ne m’étais pas investi, avais découvert des personnages ou vécu d’histoire depuis trop longtemps. J’avais joué, bien sûr, mais à rien qui ne m’ait donné l’impression d’ouvrir une fenêtre vers un autre monde. Lunar m’avait non seulement fait éprouver ça, mais il m’avait aidé à passer un mauvais moment. Il y avait positivement une douce chaleur dans la routine de ces vieux jeux de rôle japonais. Une dont il m’arrivait d’oublier l’expression, et qui sans cesse me surprenait à nouveau. En cédant à la froideur du réalisme et au sérieux des jeux plus récents, anxieux d’en mettre plein la vue, il me semblait qu’on avait perdu ça. Vouloir être beau, ça n’avait pas empêché, au moins un temps, certains jeux de raconter des histoires. C’était peut-être vouloir être vrai, alors, qui heurtait plus encore l’imaginaire. La septième génération de console avait signifié la raréfaction des jeux de rôle, des jeux qui racontaient et traitaient de l’intimité du groupe. C’était désappointant mais il n’y avait, heureusement, qu’à puiser dans les joyaux passés.

A ce point de ma relation avec ma curiosité et mon envie d’explorer les richesses passées, je n’avais plus tant l’impression de chercher à rattraper « un temps perdu » – expression emprunte de regrets – que de faire des choix de jeux qui avaient du sens. Avoir joué à Lunar, ce n’était pas tant l’avoir fait seize ans après sa sortie que c’était jouer à Lunar. Cela dit, s’intéresser à de vieux jeux n’était pas toujours d’une très grande clarté, et les affaires se corsèrent lorsque je décidai de contempler Final Fantasy IV et ses multiples rééditions. Après une longue réflexion, et différentes comparaisons, je décidai d’acheter la version PSP, choisissant un temps de faire l’original sur Super Nes avant de m’arrêter sur la version Playstation (que j’achetai également).

Le trop grand nombre de réédition, de portages et de remake mettait vraiment un frein à la lisibilité de ces classiques. Et là où leur présence sur le service de téléchargement PSN – à l’instar de nombreux classiques PS1 – aurait dû simplifier la tâche à l’acheteur curieux, cette énième version ne faisait vraiment que la complexifier. Sans compter qu’elle rendait obligatoire l’achat d’un appareil Sony heureusement en ma possession. Au final, ce qui me frappa le plus, c’est à quel point la conservation de ces vieilles exclusivités n’avait aucun sens. Il était essentiel que les jeux plus anciens soient accessibles, et qu’ils le soient aisément, ce qui semblait devoir être vrai mais demeurait encore très problématique, chaque génération de console laissant derrière elle de nouveaux jeux… et de nouvelles rééditions.