J’étais prêt. Prêt à lire, prêt à jouer, prêt à écrire. Convoitant, dans un coin de mon esprit, l’idée de faire de mon futur texte sur Dishonored 2 l’anti-texte de celui sur Dishonored, un de mes premiers sur le café. Tout un symbole, pour ce vieux bord de mer. Mais une série de circonstances malheureuses mis à mal mes plans.
(Notez que ce texte, qui parle de l’attente, ne constitue en rien une critique de Dishonored 2. A vos risques et périls.)
Le 10 novembre, juste après 13h, le carillon retentit. Je devinai immédiatement de qui il devait s’agir ; et, passant la nez à la fenêtre, le reconnus immédiatement. C’était le livreur de Colis Privé, qui déjà agitait la boite en carton dans ma direction, comme pour en diffuser l’odeur alléchante. « J’arrive », lui dis-je avec un sourire. Tandis que je descendais les marches, je rappelai à ma mémoire notre conversation, six mois plus tôt, durant laquelle il m’avait fait la remarque que si ma boite aux lettres eut été aux normes, il n’aurait pas à sonner, et je n’aurais pas à répondre. Ce qui faciliterait, pour tout le monde, le recouvrement des dits colis. « J’y songerai », lui avais-je alors répondu, avec un sarcasme à peine dissimulé. Alors que je m’apprêtais à lui ouvrir à nouveau la porte, il était évident que je n’en avais rien fait. Je souris à nouveau.
Je tenais enfin le précieux carton entre mes mains. Je l’ouvris, découvrant le jeu dans son boîtier en plastique famélique, auquel le marchand avait adjoint le steelbook de la version collector. Un joli boîtier en métal plein de vide dont je n’avais aucune idée que faire. Je n’eus pas le temps de les contempler davantage, à cause d’un impératif plus pressant, à défaut d’être agréable : un rendez-vous chez le dentiste. Le lâchant des mains, je me résolus à patienter, encore un temps au moins. Heureux de savoir que la pensée m’accompagnerait, sur le chemin, dans la salle d’attente, puis finalement sur le fauteuil, fuyant complètement la pensée qu’on creusa quelque chose dans mes dents. Jouer avec le côté gauche de ma bouche complètement endormi me parut, à ce moment, curieusement réconfortant.
Je soupçonnais néanmoins, sans vouloir m’y résigner toutefois, que ce ne serait pas si simple. Qu’il n’y aurait pas juste à insérer le jeu dans mon ordinateur et jouer. Traditions révolues. Je fus néanmoins presque surpris de constater que le DVD du jeu ne se trouva pas complètement dénué d’intérêt. 7 Go de trucs et de choses, qui une fois décompressées, par une sorcellerie qui m’échappa, se décuplèrent en 30 Go de données. Soit la moitié du jeu. Message bien reçu. Il me fallut tout de même cinq heures de plus pour que, à force de télécharger, j’obtienne le reste de ce que je venais d’acheter ; observant avec impatience, dans les derniers instants, la courbe bleue sur fond noir du téléchargement retomber. Alors que Steam terminait de collecter les derniers Mega Octets, j’eus la sensation, assis devant mon moniteur, d’enfin y être. Une arrivée en forme de départ. Posant à nouveau les yeux sur le riche boîtier métallique, je ne pus toutefois retenir une pensée. A quoi bon, vraiment. A quoi bon les beaux objets, les belles choses creuses. Quand la chose la plus importante – le jeu – manque lui-même à l’appel, qu’est-ce qu’on achète, sinon une promesse, un souvenir.
Peu m’importait. Je m’y attablai, le soir venu. Prenant soin, comme de rigueur, de scruter les options graphiques. Un passage obligé qui ne m’inquiéta pas outre mesure, cette fois, fort de ma nouvelle carte graphique. Enfin lancé, avec le soulagement d’y être, je me mis en tête de flâner, de (re)découvrir l’endroit, testant les limites du gameplay, de l’IA, en particulier. Une première heure de jeu qui s’avéra plaisante, pas pressé pour deux sous. Ce ne fut qu’au soir du deuxième jour que les embûches apparurent. Après avoir zigzagué dans un immeuble de Karnaca, à éviter des insectes particulièrement agressifs, j’émergeai sur une large place, encerclée par les battisses, où arpentaient de nombreux gardes. C’est à ce moment précis que je me heurtai pour ainsi dire au mur des réalités : les râles du jeu, incapable d’afficher plus de vingt images par secondes, qui soudain me plongèrent dans un de ces profonds vertiges. Je devinais immédiatement que le problème ne serait pas passager – j’essayais tout de même toutes sortes de réglages – mais bien l’expression d’un mal plus profond. Un mal qu’on ne connaît que trop bien : l’optimisation à la pisse des jeux sur PC.
Une fois encore je me résignais à attendre. Des jours et des semaines, cette fois, passant bien malgré moi des planches au public. Assis sur un strapontin, à regarder les autres jouer, je me retins de trop en voir, tête tournée sur le côté, regard évasif. Mais, bien sûr, j’étais envieux. Dans un coin du regard, j’aperçus les développeurs d’Arkane Studios sur les réseaux sociaux, qu’ils devaient arpenter, aspirant tout ça avec avidité, réconfortés par les signes d’appréciation, galvanisés par des messages reproduits à l’infini. D’un côté, Harvey l’enthousiaste. De l’autre, Damien l’infortuné. Deux pans d’un même mur.
A me contraindre à ne pas trop leur en vouloir, à ces jeux qui n’étaient pas à la hauteur du rendez-vous, je finissais presque par les oublier, le temps passant. Remisés au fond du placard, dans un coin de mon esprit, avec l’expression un rien boudeuse d’un enfant auquel on aurait refusé une sucrerie. « Tant pis. Si tu veux pas de moi, je ne veux plus de toi », en quelque sorte. Je me tournai mécaniquement vers des choses plus enviables, plus disposées à mon immersion. En ces occasions, je réalisai combien le dérisoire, le besoin de se divertir, avait le don de se rendre important. La complexité envahissante des mécanismes psychologiques engagés, et ces réactions, que j’acceptais pour la plus grande part, me dérangeaient parfois. Encombré par l’importance que je donnais aux jeux vidéo, mais plus encore par le fait d’être incapable d’expliquer la nécessité minutieuse de se fixer un programme des immersions. Tel jeu, tel moment. Celui-ci, non, plus tard – trop proche d’un autre. De l’évidence des sensations, qu’on a là, dans le bout des doigts, qui miroitaient déjà dans les pupilles, qu’on ne se serait jamais imaginé expliquer à des gens, qui à entendre ça les auraient gros comme des billes. Pas davantage aurais-je pensé l’écrire sur un coin du web.
Je terminai finalement Dishonored 2 quelques mois plus tard. Dans un exercice devenu, certes, moins spontané que contraint. L’obligation était, il est vrai, une de ces étapes supposées indésirables, en matière d’amusement en tout cas, mais qui pouvait amener à une vraie (re)découverte en matière de jeu. De fait, dépasser les mésententes m’amena à voir en Dishonored 2 un jeu, sinon parfaitement à ma convenance, un certainement intriguant, méticuleux et raffiné. Une autre histoire, pour un autre temps.