Paru le 19 mars 2009 sur LaPageJeuxVideo
(…) Conscient des limites liées à l’interprétation d’une œuvre, j’ai choisi de m’attarder sur certains points en particulier. Ainsi, j’aborderai ici la genèse de Persona 4 (en la personne de Persona 3) et les changements qu’il a apportés. Si ceci sera le cœur de cette partie, je reviendrai aussi plus en détail, à l’issu d’un rappel d’ordre mythologique, sur le héros de Persona 4, ses facettes et sa place au sein du jeu.
Complémentarité des couleurs, complémentarité des titres
J’y faisais référence dans mon article précédent. C’est sans doute une des choses qui sautent aux yeux en arrivant au menu : cet orange clair qui dessine les ombres des personnages à venir. Alors, là ou le orange se veut habituellement partenaire amical du bleu, quid du rapport entre Persona 3 et Persona 4 ? Eh bien, il est imparfait, et je m’explique. Globalement parlant, Persona 4 reprend la plupart des éléments de Persona 3. Ainsi, le jeu dans ses grands traits repose à nouveau sur un rythme scolaire, duquel découle une gestion du temps libre entre les phases de donjon et les autres activités (relations sociales, travail, quêtes). De ce côté, les seules vraies nouveautés sont la possibilité de faire des petits boulots, qui sont autant d’occasions de nouer de nouveaux liens, et la temporalité des phases de donjon, qui occupent désormais une partie de ce temps libre. Le nombre de Social Link, lui, est toujours à l’identique : une par figure tarotique (à l’exception de Le Monde), soient 21. A ce sujet, je me suis d’ailleurs attelé à en amener le plus grand nombre possible au niveau maximum, chose que j’avais mal faite lors de ma première partie de Persona 3, sachant ainsi que je n’aurai pas à les refaire lors de ma seconde partie. Car, oui, quand je joue à un jeu comme Persona 4, je prévois déjà d’y rejouer.
A l’image de la couleur chaude utilisée pour dépeindre l’interface de cet épisode, l’aventure se fait également plus douce et colorée. La finalité de l’intrigue est même parfois plus explicite et en tout cas certainement plus transparente qu’auparavant. On peut éventuellement regretter en ce sens que les personnages soient parfois si pertinents, gâchant quelque peu la libre interprétation du joueur. Et c’est certainement à ce niveau que le fossé s’est creusé entre les deux épisodes.
Je profite du sujet pour revenir sur une critique que j’ai vue s’immiscer à plusieurs reprises lorsqu’on en vient à parler de Persona 4 (et je pense notamment à deux tests en particulier, ne leur en déplaise), qui est « le faible nombre de nouveautés ». A ce moment là, je m’insurge tout de même quelque peu, car bien qu’étant conscient de la « réedit » partielle que présente ce Persona, il est un peu dommage d’avoir choisi d’ignorer le grand nombres de petites nouveautés que Atlus a pris soin d’ajouter. En effet, aucune révolution fondamentale n’est venu perturber les joueurs confirmés que nous sommes, toutefois, les développeurs ont choisi de ne pas conserver un certain nombre de choses. D’abord, concernant les combats, et de manière énumérative : se relever n’utilise plus un tour, garder permet de contrer une faiblesse, un ennemi au sol ne se relève plus lorsqu’on le frappe à nouveau, les personnages ne tombent plus systématiquement lorsqu’ils ratent un coup normal, l’affect « Waste Money » fait perdre beaucoup moins d’argent (qu’il était cruel dans P3 !), la fatigue a disparu, on peut s’échapper d’un combat plus facilement. Pour aller plus loin, on a désormais l’influence de la météo sur le jeu, la possibilité d’équiper les autres personnages via le menu à n’importe quel moment, l’amélioration des Social Link et de leur impact sur les combats, la possibilité de revenir facilement dans les donjons, ainsi qu’un certain nombre de choses que je citais déjà dans mon expérience de jeu. Enfin, voilà, ce n’est même pas exhaustif, et ça démontre le soin que Atlus a apporté à soigner chaque détail. J’ai en outre grandement apprécié certains clins d’œil délivrés à Persona 3. Un en particulier, qui nous permet de revenir à un des endroits visitables de l’aventure précédente et qui nous fait rencontrer un ancien camarade… quelques années plus vieux ! Ce genre de chose est particulièrement apprécié des fans, et il est inutile de préciser qu’à ce moment un « Wouhouuuu » s’est probablement échappé de ma bouche.
Il se trouve qu’à l’occasion d’une discussion entre amateurs de RPG, un ami m’a rapidement soufflé l’idée que, si Persona 4 reprend à ce point Persona 3, quel intérêt y a-t-il à faire ce dernier ? Je dois dire que c’est une très bonne question, et il sera certainement ravi que je m’y attarde plus longuement en ces lignes. Il faut avant tout savoir que les deux n’expriment pas la même ambiance : Persona 3 est plus angoissant, plus sombre, et en un sens plus uniforme. En inversant le procédé, en reconnaissant que Persona 4 est plus frais et plus accessible, l’attractivité de Persona 3 réside alors en des choses moins raisonnables, comme l’aspect plus répugnant des shadows, qui apparaissent dans les cinématiques en de nombreuses occasions ; le jeu est par ailleurs plus sanguin et plus étouffant, dans le choix des couleurs et dans le fait que le temps s’arrête lors des phases de donjons. Par ailleurs, l’idée que le temps puisse s’arrêter connote potentiellement la mort et la fin de toute chose. C’est donc avec malaise que Persona 3 aborde des problématiques sociales. Les deux titres, par leur finalité, s’accordent toutefois à divulguer les mêmes superficialités et les mêmes dérives du quotidien. Là ou le premier est sans doute plus choquant, le second s’attarde à être plus consensuel, plus explicite. En outre, Persona 4, via une enquête policière des plus classiques (bien qu’assez rare dans le domaine du jeu vidéo), s’embarrasse parfois d’un peu plus de superflu pour dynamiser le rythme du jeu, là ou Persona 3 s’était fait plus grave et plus sérieux (et par là même, moins bien rythmé). Au final, on se retrouve tout de même devant deux aventures passionnantes, avec leur lots de points communs et leurs différences. Toutefois, au regard de la progression indiscutable du gameplay, je ne saurais qu’inviter les joueurs intéressés par le 4 à commencer par le 3, même si, sous certains aspects, le 4 a laissé tomber des choses qui m’avaient beaucoup plût. Je pense notamment aux remerciements des équipiers lorsque l’on changeait leur équipement ! En plus de cette différence de tonalité, je souhaiterais rappeler que les deux jeux n’ont ni les mêmes personnages ni le même scénario, et qu’on oublierait presque de présenter ça sous cet aspect. Ayant signalé ceci, je ne saurais que trop ajouter cela : pour les fans du 3, nouveaux personnages ou pas, quelle importance ! Découvrir de nouveaux personnages ou retrouver les anciens, quel pur bonheur !
La musique est une des choses sur lesquelles je ne m’étais pas particulièrement attardé la dernière fois. Pour faire court, elle varie dans la continuité. Pour faire plus long, je dirais qu’on retrouve encore une fois les sonorités habituelles de Shoji Meguro, qui s’est montré quelque peu plus créatif qu’habituellement. On remarque la collaboration de Atsushi Kitajoh (à l’origine de la bande son de Trauma Center : New Blood) qui signe ici 4 pistes ainsi que celle de Ryota Kozuka qui en signe 3 autres. Le style est globalement plus retro, voire plus jazzy. J’y ai pourtant décelé à de nombreuses reprises les sonorités métalliques qui m’avaient fait tomber amoureux de Digital Devil Saga. Celles-ci sont notamment présentes dans les musiques de combat, et si les musiques des boss ne m’ont pas semblées aussi dantesques, elles signent tout de même leur réussite dans un style parfois assez conceptuel. Les chansons de type vocal, interprétées ici par Shihoko Hirata, sont quant à elles toujours présentes, et ceux qui n’aimaient pas le genre dans Persona 3 n’aimeront toujours pas. Ainsi, pour conclure, le style est suffisamment marqué et renouvelé pour participer à l’élaboration d’une nouvelle ambiance. Toute tentative d’objectivité mise à part, étant pour ma part fan de toutes les productions du chouette Meguro, je ne m’en lasse que difficilement.
La Création selon la religion shintoïste
A l’issu de la genèse du monde, de multiples paires de déités virent le monde. Celle qui nous concerne ici est celle composée de Izanagi et de sa femme, Izanami. Ces derniers, présidant à la création du monde à l’aide d’une hallebarde, finirent par mettre au monde une multitude de kami (basiquement, une divinité).
Malheureusement, lorsque Izanami mit au monde Kagutsuchi, une incarnation de feu, elle fut mortellement brulée. Aveuglé par la colère, Izanagi décapita Kagutsuchi. Par la suite, on raconte qu’il se rendit au royaume des morts, le Yomi no Kuni. Il y trouva Izanami. Celle-ci, ayant déjà gouté à la nourriture des enfers, lui demanda de patienter pour qu’elle puisse demander l’accord de partir aux divinités infernales. Il est dit que lorsque Izanagi rencontra sa femme, il se trouva dans le noir le plus total, et que bien que Izanami lui ait demandé d’attendre et de ne pas la regarder, il mit le feu à une dent de son peigne pour pouvoir l’apercevoir. Découvrant alors le visage de sa femme, il la vit déflétrie et horriblement décomposée. Et tandis qu’il prenait la fuite, horrifié, celle-ci, humiliée et furieuse d’avoir été ainsi regardée, le poursuivit, ne souhaitant plus que sa mort. On dit qu’à cette occasion elle devint un yokaï, une entité monstrueuse qui s’accorde à hanter la personne maudite. Izanagi parvint à lui échapper et, quittant le royaume des morts, en obstrua l’entrée avec une « si lourde pierre que mille hommes n’auraient pas pu la porter ». Alors Izanami promit de se venger en tuant 1000 êtres vivants par jour, auquel Izanagi retorqua que pendant ce temps, il en mettrait 1500 au monde : c’est l’apparition du cycle de la vie. Les versions de cette légende varient, et sont plus ou moins détaillées. On sait que chacune des actions de Izanagi suite à la mort de son épouse engendra de nouveaux kami. Il semble, par exemple, que lorsque Izanagi tua Kagutsuchi, il la découpa en huit morceaux qui donnèrent naissance à huit dieux des montagnes, et que de son sang naquit huit autres dieux. Toutefois, le parallèle à la mythologie grecque est fait à de nombreuses reprises. En effet, cette histoire rappelle en de nombreux points celle d’Orphée et d’Eurydice.
Le mythe que nous venons d’évoquer va nous servir de ce pas, car au commencement de l’aventure, le héros en devenir de notre jeu découvre sa persona : Izanagi. La persona Izanagi figure ainsi le premier, le début. Car Izanagi est un premier, un dieu créateur. Cela est renforcé par la présence de cette persona au sein de la famille « Fool » : le fou. Celui-ci, lié au nombre zéro, figure de manière numéraire le début. Et si on s’attache à en extraire la signification tarotique, il figure l’énergie originelle de la Création. Il est tout et rien à la fois, car il est inconscient du pouvoir qui l’habite. On figure le fou comme naif et « inconscient du chien qui le suit de près et qui se prépare à le mordre. ». Si on joint à cela l’étymologie du nom Izanagi, qui vient de izanau et qui signifie « inviter », le héros se voit ainsi doté d’un « rien » anarchique qui appelle à un tout, puisqu’il va, au cours du jeu, inviter de nombreuses personas – des déités – à le rejoindre. Par ailleurs, une bonne partie d’entre elles se trouvent être issues de religions polythéistes, notamment grecque, nordique et égyptienne (et qui, pour rappel, sont toutes issues du génial coup de crayon de Kazuma Kaneko). Alors, en ce sens, le protagoniste principal est un réceptacle. En parallèle à cela, et par le biais des autres personnages, il est voué à renforcer son identité au sein du groupe duquel il deviendra un attribut. En effet, au sein de cette entité sociale, les autres vivront leur naissance en sa compagnie, et seront amenés, par leur acceptation, à accepter le regard du héros, qui n’est autre que leur propre image. La réalisation des personnages au sein du groupe laissera place à l’expression du ressentiment de ce groupe : la peur de l’autre laisse place à la peur de l’autre chose, qui est symbolisée par l’autre monde, auquel on accède ici via la télé. En outre, c’est cette nouvelle entité, le groupe, qui sera désormais liée à l’arcane « Fool ».
Pour recoller au jeu, la réalisation des personnages se poursuit en parallèle de leur quête. Le groupe est dirigé pendant les phases d’action par le protagoniste principal. Les raisons ? Des pouvoirs hors du commun (la possibilité de contrôler plusieurs personas) et un peu plus de sang froid que la moyenne : c’est l’avantage d’être muet. D’ailleurs, si je devais aller plus loin sur l’idée du réceptacle, je soulèverais aussi l’idée qu’il est aussi celui du joueur. En effet, nous sommes ici devant un héros de type mutique. Même si le jeu se joue un peu de ça (à aucun moment le personnage ne parle, mais il s’exprime via les réponses à choix multiples), on se rend vite compte qu’il est grisant d’interagir avec les autres protagonistes, lesquels on peut désormais complètement contrôler lors des combats.
Sur une note plus humoristique, j’ai envie de dire que le muet ne l’est pas vraiment. En effet, vers la fin du jeu, le héros lâche à plusieurs reprises un « Mmm mmm » pour répondre aux sollicitations de ses amis. Comme si, à l’issu de cette aventure, le Pinocchio de notre histoire avait pris vie.
Alors, au regard de ce que je viens d’aborder, il aurait été aberrant que le personnage principal de Persona 4 ait une personnalité plus affirmée. En effet, ce dernier, transfuge aux multiples personnalités, reçoit et donne en notre nom, et par le biais de ses interactions nous fait l’ami de personnages que je regrette déjà.
Cette première partie nous a permis de revenir plus en détail sur l’œuvre, et sur la projection du joueur dans cette œuvre, en la personne du héros. Si celle-ci se destinait à toutes les personnes curieuses d’en apprendre plus sur Persona 4, la prochaine partie s’adressera avant tout aux personnes ayant fini le jeu, et je ne saurais que trop la déconseiller aux personnes souhaitant faire le jeu prochainement. En effet, à cette occasion j’y divulguerai sans pitié la fin du jeu, afin de revenir sur certains éléments fondateurs de l’intrigue. Par ce biais, j’escompte bien m’adresser aux petites gens dans le secret, et j’invite dès à présent les fanatiques de Persona à en discuter lors de sa parution.