Paru le 16 février 2011 sur Console Syndrome
A l’occasion de la critique de Deadly Premonition je me suis prêté à un exercice un peu particulier : écrire à deux, en compagnie de Mololo, comme pour mieux mettre en exergue les multiples facettes du jeu.
Mololo
L’année 2010 a été riche en jeux vidéo, en blockbusters comme en jeux plus minimalistes. L’arrivée de Deadly Premonition a pourtant été singulière, partageant les critiques et en premier lieu qualifié de « jeu tellement mauvais qu’il en devient génial ». Difficile de se faire une véritable idée et de comprendre comment on a pu en arriver là. Le développement du jeu a pris son temps, tout d’abord présenté en tant que Rainy Woods lors d’une vidéo au TGS de 2007. Les similitudes marquées avec une certaine série mythique n’échappèrent à personne et l’aventure fut recalibrée pendant de longs mois, en témoigne notamment le changement assez drastique du look du héros. Quoi qu’il en soit, Deadly Premonition est désormais présent parmi nous, muni de son investigation morbide et de ses carences techniques.
Le premier contact avec Greenvale scintille, fait plisser les yeux. Ce n’est pas sa beauté qui étincelle au point de nous étourdir, au contraire, on se demande plutôt quelle mouche nous a piqué et pourquoi un jeu Dreamcast de seconde zone tout aliasé se dresse devant nous. Attendez, ces animations raides, ces visages figés, ces textures grossières, c’est une blague ? Ah non, une oreille attentive nous avait déjà prévenu que l’attirail de la bête pouvait faire peur au premier abord. Pourtant, au bout d’à peine quelques secondes d’acclimatation, la musique envoûte, les jumeaux intriguent. Un moineau qui picore à côté de la main d’un cadavre. Anna, pâle et nue, souffre d’une modélisation faiblarde et alors qu’un serpent se tortille sur son corps inerte, il est déjà trop tard. La magie a opéré : les feuilles mortes volent et le titre apparaît, discret, en bas de l’écran. L’attention du joueur est captée et l’enquête peut démarrer.
Memento
Les premières minutes interrogent. Un accident de voiture, de la tôle froissée, un rêve – ou peut-être pas – et ces jumeaux, à nouveau. Francis York Morgan, l’agent du FBI qui a été envoyé résoudre l’affaire, semble être un personnage peu banal. Ces premières minutes, c’est aussi l’occasion de découvrir le système de jeu, d’entrevoir l’horreur des déplacements, mais surtout – déjà – de se retrouver en contact avec l’ennemi récurrent du jeu, ces manifestations surnaturelles : des incarnations humanoïdes, résistantes au balle, que le jeu ne prend même pas la peine de nommer. Sitôt arrivé à destination, York, l’homme de la ville, se heurt à l’incompréhension de ses confrères plus ruraux ; à celle du Shérif, tout particulièrement. Contre toute attente le jeu nous dévoile des personnages à la hauteur, et en tout cas suffisamment captivants pour qu’on s’aventure plus en avant dans le jeu.
Mololo
Effectivement, si les rues sont désertes, ce n’est pas pour autant que la ville est dépeuplée. Un vingtaine d’habitants vont rapidement devenir votre pain quotidien, voire plus si affinités. La belle fliquette aux airs de Naomi Watts, l’adjoint un tantinet sensible, la grand-mère de l’hôtel, les responsables de la station-service, du restaurant, la gardien du cimetière, tout autant de suspects potentiels à surveiller. Les heures défilent presque en temps réel et chacun vaque à ses occupations. C’est l’occasion d’espionner aux fenêtres, de frapper aux portes ou pire, de prendre le volant en espérant se repérer tant bien que mal sur la carte qui ne se dézoome jamais assez. De sa technique désuète, Deadly Premonition s’en moquerait presque et propose une palette d’autochtones qui forment une grande partie du charme de Greenvale. C’est qu’il va falloir les apprivoiser les bougres, et qu’on va y prendre du plaisir !
Memento
Les dialogues revêtent une importance capitale dans la résolution de l’enquête, et comme dans tout bon policier, tous sont suspicieux, à défaut d’être suspects. Au jour le jour lieu du crime, récolte d’information, nouveaux protagonistes. Il faudra aussi visiter « l’autre monde » et affronter ceux qui y résident – ceux qui n’ont pas de nom – pour retracer la chronologie des faits. L’ambiance, crispante, à défaut d’être terrorisante, use de bruitages et autres sons désuets pour nous maintenir sous pression. Le simple fait d’ouvrir un placard déclenche un son crispant. Y trouver du saumon frais – quand on est dans un bâtiment abandonné – déclenche l’hilarité. Quand on en vient aux éléments de jeu, le jeu ne s’embarrasse guère avec le réalisme, possible mélange de naïveté, de simplicité et d’hommage aux jeux vidéo d’antan.
Mololo
Les pioches dans l’univers des survival-horror sont multiples, principalement présentes lors des phases musclées. La maniabilité rappelle alors un Resident Evil 4 du pauvre (les escaliers relevant de la régression totale, du niveau du tout premier RE, il fallait oser). Les transformations de décors évoquent Silent Hill. Le jeu nous gratifie même de passages directement inspirés de Clock Tower, QTE respiratoire en prime. Pas toujours très maniable, certains vont jusqu’à conseiller de jouer en mode facile pour souffrir le moins possible. Faiblesse assumée ? Un passage de flambeau dur à négocier ? Swery 65 explique en entretien que les séquences d’action ont été les dernières ajoutées. Que le public occidental aurait mal vécu de ne pas tirer une seule balle, rendant obligatoires ces coupures souvent bien inférieures à la véritable enquête. On adhérera ou pas à cette excuse un brin fumeuse, en se réconfortant : le titre est riche et a bien d’autres éléments à nous offrir.
Memento
L’histoire, en tout cas, nous maintient en haleine. Le jeu a son fil conducteur : l’intrigue, et si les péripéties participent à relancer son intérêt – parfois de manière assez prévisible, mais c’est sans doute le genre qui veut ça – de curieuses élucubrations apportent un fin mot ardemment désiré – doux euphémisme. On n’oublie pas les bonnes idées, pour autant : les variations de ton et de situations (comme un repas convivial où tous rient pour un rien) contribuent à générer l’empathie nécessaire à notre implication, et l’on se surprend à regretter la fin d’un jeu éminemment imparfait.
Mololo
Resserrant sa concentration sur son intrigue dans la dernière partie, on regrettera parfois les phases d’errance de départ. Ce processus permet de mieux nous maintenir en haleine, mais les déambulations routières, les rencontres fortuites et les filatures permettent de choisir son propre rythme et de s’imbiber de la très étrange pluie qui s’abat régulièrement sur la ville. Les ultimes révélations pourront partager, décevoir ou du moins étonner, il en ressort en tout cas un personnage principal absolument unique, armé de monologues ou de répliques accrocheuses, surtout si vous êtes amateurs de séries B des années 80. Des références qui ne sauraient nous faire oublier la principale influence du jeu : Twin Peaks. Qu’on se rassure, il ne s’agit pas ici d’un bête pompage, plutôt d’une étrange filiation qui réussit à trouver son propre tempérament.
Memento
Au milieu des titres plus ambitieux et costard-cravate, le titre paraît dix ans, débardeur et survêtement. Un peu débraillé, un peu dépassé, Deadly Premonition n’en demeure pas moins une jolie curiosité. On lui prêterait presque l’audace d’aller à contrepied des standards actuels. Bien sûr, on pourrait, lui balancer au visage ses vieilles mécaniques et ses graphismes simplistes. Mais ils constituent un ensemble, parfois confus, et pourtant indissociable du titre. Deadly Premonition, c’est l’humilité d’aller au delà des apparences, d’accepter qu’un jeu puisse être autre chose qu’une belle gueule et un gros budget ; un jeu modeste qui, le temps d’une énigme, étonne, et parfois captive, à notre plus grande surprise.