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Spoile-moi fort

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Paru le 23 mars 2010 sur Console Syndrome

Avec les jeux vidéo, il est souvent question d’enthousiasme. Comme un met raffiné, on s’impatiente à l’idée de le gouter, on s’imagine l’avoir en main. Les premières effluves nous parviennent : les premiers sons, les premières images, et la révolution ludique se met en marche. Mais soudain c’est l’horreur, les effluves se font persistantes, le flux d’images ne s’arrête plus. Le torrent est devenu incontrôlable, il faut fuir. Fuir, se résigner, et attendre que cela passe.

J’ai vu, il y a peu, qu’on disait d’un jeu qui n’avait pas donné de nouvelles pendant quelques mois, qu’il était « laissé pour mort ». Comme une baleine échouée sur la plage, les jeux qui sortent du cercle médiatique ne comptent plus, ou si peu : l’omniprésence médiatique est devenue omnipotence, et on viendrait presque à regretter l’époque des magazines. Seuls quelques illuminés ou quelques stars peuvent se permettre le caprice de donner des nouvelles quand ça leur chante : de ces délicieuses personnalités, un peu folles – heureusement, qui nous font se délecter de leur indépendance.

Cette invraisemblable actualité, au plus fort d’un industrie en pleine effervescence, affecte la manière dont nous vivons notre passion. Nos points de chute habituels, un site, deux site, en sont venu à s’adapter, quitte à s’en trouver surchargés : difficile, désormais, de les visiter sans en repartir bariolé de bouts de jeux. Si bien que la plupart d’entre eux semblent avoir « capitulé ».

Rester candide

Au milieu de cette très grande diversité de supports et de jeux, il nous arrive parfois de flasher sur un titre en particulier. Une première partie d’entre nous cherchera à en savoir plus, à en disséquer le moindre élément, mais d’autres, confiants, souhaiteront se préserver une part d’inconnu, pour se garder la surprise du reste. J’ai moi-même fait partie du premier groupe avant de rejoindre le second. Arrivé à ce niveau, ça ne vaut guère mieux qu’une métaphore de cour de récré : c’est toujours les mêmes élèves qui se font charrier. Malmené, chahuté, ce second groupe l’est. Car les éditeurs ne font pas de la publicité avec rien. Et en l’absence d’acteurs connus (Brad Pitt aurait refusé de jouer Tidus ; beaucoup trop blond), il s’agit de promouvoir le contenu du jeu le plus concrètement possible : personnages, scénario ; éléments du gameplay, des graphismes.

Bien que toujours aussi circonspect devant la chose, je ne peux guère contester cette volonté de mettre un titre en avant par tous les moyens. En effet, comment en espérer moins alors que le marketing d’un jeu joue énormément dans ses chances de réussite (jusqu’à trois fois plus que les critiques) ? Un grand nom comme Modern Warfare 2 n’a-t-il pas dépensé deux fois plus en marketing qu’en développement ? La Wii a montré la voie de manière exemplaire : n’oubliez pas de faire de la pub. Néanmoins, n’en font-ils pas trop, ou pas toujours de la bonne manière (comme pour Dead Space 2 ou Dante’s Inferno) ? En ce qui nous concerne, est-il bien nécessaire d’en révéler le moindre détail ?

Arrivé à ce niveau, mon regard se pose vers mes pairs et les journalistes. Si de ces premiers je peux comprendre l’enthousiasme et l’envie de partager, des derniers je n’exige rien d’autre que du professionnalisme. Et je me permet de poser la question : est-ce bien professionnel de régurgiter systématiquement chaque nouvel élément diffusé par les éditeurs ? Les sites web ne sont-ils pas devenus, quelque part, le terreau fertile d’un appareil marketing bien huilé ? (Et sans même considérer les pub toujours plus gigantesques placées en fond de page.) Ainsi, du format actuel de la plupart des sites d’information découle le nœud gordien de cette problématique : faire de l’info c’est faire du visuel, proposer de nouvelles images, de nouvelles vidéos. En l’absence de grands noms aux commandes, ou en dépit de ceux-là, l’aspect graphique est bien souvent la toute première source d’attractivité d’un nouveau jeu.

Ce « problème » n’est bien sûr pas dénué de solution, et la plus simple d’entre-elles est encore la plus radicale : arrêter de fréquenter ces sources d’informations. C’est encore le meilleur moyen d’arriver à ses fins, mais est-ce vraiment salvateur de se priver de tout le reste juste pour éviter du très particulier ? C’est quelque chose que j’ai rarement pu me résoudre à faire, friand amateur d’articles en tout genre. A mon sens, il conviendrait d’inverser le processus : pourquoi n’est-il pas possible d’exclure une donnée précise d’un flux global. A l’instar des blogs qui permettent de classifier son propos via l’usage des tags, il serait intéressant que de ceux-là on puisse en marquer comme étant indésirables, ce qui reviendrait ni plus ni moins à filtrer les données d’un support, d’un développeur, d’un genre ou d’un jeu précis. A défaut d’empêcher son esprit de vagabonder d’une conclusion à l’autre, il serait sans doute intéressant d’envisager ce genre de solution.

L’absence totale de gestion de l’information en terme de filtrage utilisateur (à ne pas confondre avec une censure à grande échelle) témoigne du désintérêt total d’un état de pensée virginal. Cette virginité intellectuelle, qui permet de savourer au mieux certaines réalisations, est de fait totalement illusoire sur internet à l’heure ou j’écris ces lignes. Pas seulement parce qu’il est moins possible de choisir ce qu’on ne veut pas lire de ce qu’on veut lire, mais surtout parce que l’information et la nouveauté apparaissent plus que jamais comme un tout, dense, ingérable. La notion de spam a fait son chemin depuis les envois massifs de mails non désirés, et toute cette promotion lui emprunte volontiers ce côté envahissant. Et c’est de ça dont il est question : du piétinement de son espace personnel.

Du coup, de la crise de la presse au succès massif des sites internet, l’on distingue une vraie transformation des usages. Cette course vers l’immédiat a ouvert aux plus grandes maladresses. De nombreux sites, avant de rencontrer le succès ou après l’avoir eu, ont cherché à faire plus grand, à faire toujours plus. A tout faire, à tout prix. Aujourd’hui, quand je regarde les plus grands sites francophones, je n’arrive pas à y voir autre chose qu’un trop plein. A chaque fois que j’arrive sur la page d’accueil, toutes ces nouveautés ne m’embrassent pas : elles m’assaillent. Des vieux magazines et de ceux d’aujourd’hui, j’ai gardé la possibilité de sauter des pages. Tout le contenu ne se targue d’ailleurs pas de tenir sur la couverture ; il s’agit au contraire d’en faire un bon équilibre : images, accroche, contenu important. Et puis un plan, tout en lettres, pas bariolé d’images qui se superposent et qui s’annulent. D’équilibre, la plupart des sites web ne s’en embarrassent pas. Bien sûr, je ne vais pas vous dire qu’à Console Syndrome on fait tout en mieux, mais il me semble que le site est plutôt resté fidèle à lui-même.

Influençable ou dépendant

La profusion et l’utilisation régulière des canaux d’informations permettent désormais aux services marketing d’habituer les futurs acheteurs à l’idée qu’un nouveau jeu est fait pour eux. Comme un nouvel ami, celui-ci nous rend visite régulièrement, nous parle de lui et nous laisse de nouvelles images en tête. Aujourd’hui, il a appris à jongler : décidément, Kratos sait vraiment tout faire ! Le fait que le nom des personnages soit révélé très en amont de la sortie du jeu est loin d’être anecdotique : à l’image des marques qui en ont fait leur baptême comme pour être étrangement proche de vous (vous savez, William, Giovanni, Franck et Yvonne), il s’agit d’installer très tôt cette proximité. Et puis, c’est quand même plus pratique de dire « Dante » que « le mec cool, là ».

A certains égards, fournir des infos à intervalle régulier revient à donner leur dose aux cohortes de joueurs impatients de mettre la main sur un jeu. Cela participe aussi à raviver et à marquer les mémoires, procédé qui semble aujourd’hui plus que jamais d’actualité. On peut toutefois reconnaître aux uns la volonté honorable de patienter en s’imprégnant de nouveaux éléments et aux autres qu’ils n’ont pas le choix (les gens de la profession notamment). Pourtant, à défaut d’être dépendant, n’est-ce pas au moins être influençable que de se livrer au moindre élément de nouveauté ? Faire la promotion d’un jeu c’est aussi circonvenir à une certaine honnêteté, parfois. Vous vous rappelez, Killzone 2, à l’E3 2005 ? Et plus récemment, pour FF XIII ? Il est bien évidemment dérisoire de vous confier que ces gens-là, dehors, ceux-là mêmes qui prennent la décision d’envoyer une centaine de screenshots de leur prochain jeu, ils ne veulent pas votre bien ; c’est après vos sous qu’ils en ont. Et plus les blockbusters semblent se doter d’une gigantesque machine commerciale, plus ils nous aident à en être conscients.

Pour les jeux comme pour le reste, il est souvent affaire de sensibilité, et il est regrettable que les joueurs n’en soient pas toujours conscients ou se plaisent à les bafouer. De la manière dont on joue à celle dont on l’appréhende, il est aussi question de petites habitudes, et les miennes m’ont souvent fait passer pour un maniaque de premier ordre. Bien que cela me donne parfois l’impression de devoir lutter contre les éléments, j’aime cultiver mon innocence au regard des jeux qui m’intriguent le plus. Se lancer, à blanc, comme pour mieux naitre dans un nouvel univers et se sentir déboussolé au gré de ses découvertes. Aujourd’hui comme demain, il est tout simplement impensable que je brade mon enthousiasme à la connaissance.

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