La cartouche de Pokémon Soleil chauffe. Près de 23 ans après Pokémon Rouge, je les capture tous à nouveau. Des Picassaut, des Manglouton, des Magnéti, des Nosferapti. Rien ne résiste à la balle. Des noms étranges, qui me ramènent en CM2, et à ce jour ou je dessinais mon premier mot-valise, un Chapeintre. Ou bien était-ce un Serpantoufle… Le temps est passé.
Bien que vingt-trois année plus âgé que la dernière fois, je m’amuse. Je ne le pensais pas à ce point. Je n’étais pas sûr, en fait, qu’en achetant Pokémon Soleil, comme ça, d’occasion, juste au cas ou, cela prendrait. J’avais bien exploré l’idée de l’emprunter à ma nièce. Mais au devant des explications que cela aurait nécessité, je m’étais abstenu. Expliquer à une adolescente qu’on peut tout à la fois aimer développer des stratégies complexes, affronter des bêtes terribles, voler dans l’air, actionner des machineries, conduire des véhicules, suivre une histoire et capturer des bestioles ne se résume pas aisément. L’insoupçonnable diversité des jeux vidéo, et l’éternelle opacité de son langage, ont le don de rendre le phrasé complexe, et la passion indicible.
Jouer à Pokémon, quand on a vécu Shin Megami Tensei, colore l’aventure d’une autre façon. Une pensée me vient : que donnerait un Ramoloss fusionné avec un Rattata ? Un Coxy avec un Crabagarre ? Un Piafabec avec un Feuforêve ? Des bêtes monstrueuses, à n’en pas douter. Mais voilà, contrairement aux Démons, les Pokémons ne sont pas simplement des outils, ou de la matière malléable, recomposable à l’infini. Ce sont des partenaires fidèles, qui aiment être cajolés, pouponnés, gâtés, et même nourris. Un comble ! L’horreur et la monstruosité serait donc de les considérer comme de simples objets, ou de simples moyens vers la victoire et le succès. Et bien qu’ils se veulent armes et armure, lors des affrontement, leur volonté d’être, d’exister, de mûrir, voire de se transcender par l’évolution les rend uniques. Rien d’étonnant, alors, à ce que même les plus moches d’entre-eux aiment les gouzi-gouzis…
Le nombre de Pokémons à attraper est en tout cas conséquent. Un principe qui réplique parfaitement la principale obsession de nos sociétés : posséder. Capturer des Pokémons est en effet, sur le papier, assez vain. Dans la mesure ou la plupart d’entre-eux ne serviront pas et, en l’absence d’une fusion qui leur aurait justement donné une nouvelle utilité (j’insiste), ils se limiteront à compléter une liste ; puis croupiront dans la banque, privés de leur liberté pour toujours. La pensée est frappante. Même ceux-là qui possèdent un nom ne sont pas l’abri de se trouver dans l’attente éternelle et désespérée qu’on s’intéresse à eux, qu’on les en sorte, qu’on leur donne une raison d’être ou d’agir. Un espoir de plus en plus fébrile, à mesure que l’aventure progresse, et que leur niveau devient trop dérisoire pour être utile. Une violence systémique à l’égard des Pokémons qui, heureusement, ne transparaît pas. Tant la gentillesse de l’aventure est hystérique, et la découverte perpétuelle.
Alors, permettez que je continue à capturer ces sales bêtes. Car mon tour des îles est une idylle, et il ne saurait souffrir de pareilles considérations.