Les Youtubeurs ont la côte. Auprès des fans et des spectateurs, bien sûr. Mais aussi auprès de la presse, qui ces dernières années a tenté d’en rapporter l’extravagance, comme d’en décortiquer les zones sombres. Comment ces joueurs, ces « monsieur tout le monde », comme on aime à les appeler – jonglant au besoin avec les rôles de broadcaster, animateur, monteur et publicitaire – se sont mus peu à peu en star du web et colosse marketing : la question fascine. Tout comme celle de leurs revenus. Des questions complexes à régler.
Pour preuve, les nombreux titres qui se sont emparés de l’actualité dernièrement. La raison ? Le salon Video City Paris, qui vient se dérouler le 7 et 8 novembre dernier, et qui aurait réunit environ 150 Youtubeurs. Une première en France, et une occasion unique pour les fans de rencontrer leur idole. De nombreux journalistes étaient naturellement présents, soucieux de couvrir le sujet, avec parmi eux de grands titres. Tels que Le Monde, Les Inrocks, Le Figaro (un deuxième), Rue89, France Info. Sans oublier Libération et Le Parisien (qui nous bénit également d’une vidéo), qui se contentent d’une simple copie du communiqué de l’AFP. Un exercice de futilité, pour ces journaux, qui font tous état de « l’hystérie » des fans. Sans oublier de mentionner les parents à la ramasse, l’argent – qui est donc tabou – et les chaînes de télé dépassées par l’ampleur du succès.
Youtubeur: nom masculin; se dit d’une personne qui youtube, qui réalise l’action de youtuber
Parler d’un phénomène, ça commence par lui donner un nom. Comme auparavant les geeks et les gamers (termes toujours tristement d’actualité), le terme « youtubeurs » – un néologisme français dérivé du terme anglais youtubers –, qui commence à être fortement employé à partir de 2013, tente la catégorisation tout en restant le plus littéral possible. Que tout un tas de gens qui n’ont rien à voir avec Cyprien se retrouvent dans le lot, ce n’est pas grave, tant qu’on saisit immédiatement de quoi il est question. Il est d’ailleurs intéressant de constater, qu’en en cherchant la définition, certains sites (tels que Wikipédia) font du gain d’argent (« tirer des rémunérations via la publicité ») une condition sine qua non du Youtubeur. Là où d’autres, la majorité des sites anglo-saxons y compris, s’arrêtent à l’idée d’« utilisateur du site Youtube », Oxford ajoutant à cela le fait de produire des vidéos ; un détail important : cela fait d’eux des producteur de contenu, par opposition aux consommateurs de contenu. Les définitions varient donc. Mais le Youtubeur qui fascine le plus la presse, c’est encore celui qui attire les foules, et donc celui qui génère beaucoup d’argent.
Depuis la découverte de ce phénomène, la presse en a renforcé la présence médiatique en dressant méticuleusement son portrait. En 2013, un article du Figaro évoquait alors « des jeunes internautes (…) devenus les idoles des adolescents (…) partageant avec fraîcheur et enthousiasme leur passion du jeu vidéo ». Le champ lexical mettait, à l’époque, fortement l’accent sur la jeunesse, l’innocence, la fraîcheur, bref sur la naïveté de ces « aventures vidéoludiques ». De sorte à renforcer le contraste avec ce bât qui blesse : l’argent. « En coulisses, de nombreux intérêts économiques sont en jeu. », écrivait la journaliste, revenant sur le programme partenaire de Youtube ainsi que sur les publicités, jugées « clandestines ». Le schéma est resté depuis. Dans le même papier, se voyait évoquer le cas Ben Vacas, un de ces « jeunes youtubeurs » étranglé par un contrat abusif signé en 2011 avec Machinima – alors première chaîne Youtube au monde (en vues) – accordant au network des droits à vie sur ses productions.
Avant même, qu’en France, on ne se mette à utiliser le mot, les Youtubeurs c’était ça (comme ça l’est encore parfois ?) : des créateurs et des artistes en proie à l’appétit des networks. Une manne pour les publicitaires désireux de toucher les « lost boys ». Au delà du cas Vacas, de multiples scandales éclatèrent en 2011 et en 2012, coïncidant avec les investissements conséquents de Google dans le but de faire de Youtube un concurrent à la télévision classique. Ce qui révéla non seulement la complexité du système – toujours réelle – mais aussi ses enjeux : attirer des créateurs impulsifs, et monétiser leurs vidéos via le droits d’auteur. Créant ainsi, en contraste total avec le principe même de Youtube – pouvoir mettre ses vidéos en ligne sans intermédiaire – un enchevêtrement de partis. Google n’ayant en effet aucun intérêt à ce qu’on puisse déterminer avec exactitude le système derrière la monétisation et le sponsoring des youtubeurs, et donc les revenus que la société en tire (en somme : les impôts qu’elle paye, ou ne paye pas).
Journalistes vs Youtubeurs :
Il est aisé de voir, alors que la majorité des titres de presse traitent le sujet des Youtubeurs de manière extrêmement empruntée, ne s’intéressant qu’à sa tranche la plus faste et à l’argent qu’elle génère, pourquoi le débat tend à glisser dans l’opposition. Spécifiquement, celle du journalistes, des « médias traditionnels » contre ces chers youtubeurs. Le fait est, si ce n’est pour d’embarrassants points communs – l’omniprésence de la publicité, les symptômes de dépendance qu’elle créé, les conflits d’intérêts ; en somme la question de l’indépendance – ils n’ont pas grand chose à voir l’un avec l’autre. Et n’ont pas donc de raison de se « jalouser », puisqu’ils ne se comprennent pas. Chacun enfermant l’autre dans un rôle donné.
Tout au plus, le succès rapide des youtubeurs aura-t-il servi de révélateur sur l’effritement bien réel de la presse, des budgets en berne, de la stagnation des ambitions, comme de la puissance sans mesure du marketing. La presse vidéoludique étant encore la plus à même d’en témoigner, confortée dans des schémas datés ; pris au piège de la publicité, obnubilée par la course au clic, perclus par la paresse ; peinant à se remettre en question, comme elle peine à nous rassurer de son intégrité (on se la coule douce). Les exceptions existent, mais elles sont rares, fragiles, et montrent combien il est finalement aisé de céder aux titres putassiers, aux gigantesque bannières de pub et aux articles dits « publi-rédactionnels » et « promotionnels ». Jouant parfaitement son rôle de presse consommable dans un système consumériste.
Parler des Youtubeurs, si étroitement affiliés aux éditeurs et à des « networks » servant d’ayant droits : c’est entendu. La complexité des systèmes de gains sur Youtube est un sujet légitime, tout comme le sont le manque de transparence et le brand content. Face à cela, l’impuissance des journalistes – cette « omerta » et ce « tabou » si souvent évoqués – est certes des plus causantes ; peut-être plus causante encore que ne le seraient des révélations. Mais, au risque qu’on ne se mette à croire que cette part d’inconnu qui semble inexorablement lié aux « Youtubeurs » ne soit devenu trop précieuse pour être percée, il va falloir faire mieux, ou cesser de nous en rabattre les oreilles. Sans compter que la question n’est plus seulement celle des Youtubeurs uniquement, mais bien celles des plates-formes vidéo en général, le streaming en direct ayant explosé en 2015 (Twitch, Youtube Gaming, Hitbox), renforçant par là-même les streamers comme composante du calendrier marketing.
A moins qu’il ne faille dire streameurs ?
Un peu plus d’infos :
– YouTube Stars Fight Back (LA Weekly)
– Pourquoi le métier de Youtubeur ne devrait plus faire rêver (Les Inrocks)
– YouTube, derrière le rideau (Un Drop Dans La Mare)