Parler de jeu vidéo avec des collègues a prouvé au moins une chose : ce n’est pas simple de parler de jeu vidéo. En tout cas pas aussi banal et quelconque que de parler de films, de musique, ou de la météo. Non pas que les jeux vidéo soient à ce point ésotériques, élèvent à ce point l’esprit, qu’en discuter provoque immédiatement de longs échanges de rhétorique. Mais plutôt que le sujet renvoie si manifestement à toutes sortes de préconceptions qu’il vaut mieux s’y soumettre. A la moindre assemblée, il semble en effet inéluctable, c’est selon, qu’un des membres participants fasse une remarque à l’un des non participants, au regard du fait qu’ils sont en train de parler de jeu vidéo, insinuant lourdement qu’il n’y comprend rien, que cela l’ennuie, qu’il aimerait qu’on parle d’autre chose. Ou bien qu’un des membres non participants, de lui-même, interrompe, à l’aide d’une remarque bien sentie, la dite conversation, en usant du vocabulaire standard, tels que « Ohlala les geeks ! » ou « Encore à parler de jeux vidéo. ». Dans un cas comme dans l’autre, la conversation s’arrête, s’enlise, on se regarde, on se demande si on dérange ; le simple fait d’y penser, à vrai dire, d’être amené à se poser la question, terminera d’y mettre fin de toute façon.
Pourquoi ces schémas sont-ils à ce point latents, je l’ignore. La majorité des joueurs tendent, eux-même, à dévaluer l’importance de ce passe-temps, qu’ils sont les premiers à marginaliser, comme pour mieux s’y singulariser.
Le jeu vidéo n’a en vérité jamais été aussi banal qu’aujourd’hui, ou tout le monde joue, sans s’en apercevoir ou vouloir l’admettre. Sur les smartphones, pendant la pause : jeux de mots, de puzzle, de rythme, de gestion. Des qu’on aime suffisamment pour y revenir tous les jours. Mais mentionner les « jeux vidéo », c’est comme réveiller une bête tapie dans l’ombre. Soudain, dans les esprits, c’est la même image qui se forme : ces machins bruyants pour excités, sur la télé, ou bien l’écran d’ordinateur. Cet espace réservés aux « vrais » joueurs – parce qu’il y en bien entendu des variétés. Aux vrais se confondent les faux, aux « Hardcore » les « noobs », aux « consoleux » les « PC Master Race ». Tout est savamment défini. Si bien défini, en fait, que ça en devient parfaitement abrutissant. En vérité rien ne l’est. On se raccroche aux caricatures, et au langage d’opposition, juste parce que ça rassure, que ça préserve d’avoir à admettre qu’on avait tort, que ça fait exister. Si il y a quelque chose à apprendre, mieux vaut ne rien en savoir.
J’adore jouer, mais je le dis souvent : jouer ne définit pas ma personne. Je parle de jeux comme je parle d’autre chose. Pas pour convaincre. Pas pour me battre contre les idées reçues. Simplement parce que j’apprécie en converser. Il est vrai que c’est un des rares sujets qui me donne l’impression de savoir quelque chose que les autres ignorent – un secret. Pour le reste je me confonds dans ma propre bêtise. En cela, il serait tentant de vouloir en user, d’essayer de prouver aux sceptiques que le bien fondé de mon intérêt se trouve au delà de ce qu’ils croient en percevoir. A une époque, dans ma jeunesse, j’eus essayé, je me suis fâché, peut-être. Mais aujourd’hui j’en suis incapable. D’abdication, ou bien de sagesse. Je sais les jeux vidéo trop dérisoires pour désirer les prouver aux non curieux. Je les sais, surtout, impossibles à vendre – il faut les voir. Alors les envolées, je les narre en l’esprit, sans qu’ils ne prennent jamais forme dans le monde réel, où la plus grande partie du temps je préfère fermer ma gueule. A tout dire, ma relation avec les jeux vidéo, et le jeu en général, est d’une telle évidence que je n’ai effectivement rien à en dire. S’ils savaient, c’est sûr. S’ils savaient, quand même. Tout ça. Ils sauraient que ça coule à ce point de source que les mots n’y servent à rien. Mais ça, ils l’ignorent.