Il me semblait avoir finalement compris. Le monde, l’histoire, le jeu lui-même, et les nombreuses possibilités qu’il offrait en réalité. Tout du long j’étais resté intrigué, bien qu’en retrait, maintenu dans le flou d’une insaisissable dystopie. M’abandonnant à la lenteur des affrontements en différé, aux somptueux environnements et, naturellement, à la bande-son renversante. Mais voilà que la fin pointait déjà le bout de son nez, offrant un épilogue certes touchant mais qui ne faisait que révéler l’étendue du manque.
Je m’étais, il est vrai, trouvé plus distrait que d’ordinaire, ayant fait le choix de streamer le jeu. Mais, je le constatais bien vite : Transistor était un de ces jeux auxquels il fallait donner du temps. Et je ne demandais qu’à être conquis ; je me sentais, même, à deux doigts de l’être. Ayant finalement entrevu ce que l’énigme Transistor cachait, je n’avais qu’une envie : lambiner. Juste assez pour compléter ce qui restait, pousser le système, sentir de nouvelles connexions se faire dans ma tête. En un mot : tirer davantage du jeu.
Alors, à la proposition que m’offrait le menu, Shell ou Récursion, je cédais au second, abandonnant une fois de plus mon enveloppe corporelle (shell). De retour au début du jeu, à de menus glitchs près l’histoire était la même : Red fut priée, dans des conditions bien mystérieuses, d’arracher le Transistor – une large épée – aux entrailles d’un homme, avant de partir à la recherche d’un groupe d’individus encore plus énigmatiques. Une trame un rien obscure que je mis sans le vouloir de côté, intrigué que j’étais par les combats, qui donnèrent naissance à des espaces de réflexion insoupçonnés : du bon usage du mode Turn(), qui permit d’interrompre le court du jeu et de programmer un certain nombre d’actions, à la sélection des « fonctions », très diverses. Le titre se pondérait davantage que je ne le crus.
On eut tort, en effet, d’y voir tout à fait un action-RPG. Après un Bastion déjà très hybride, Supergiant Games condensait une nouvelle fois, en Transistor, une ribambelle de genre : jeu d’action, de rôle, tactique, offrant par là-même un curieux mix entre réflexion et temps réel. Les seize fonctions, débloquées au gré des montées en niveau, faisant ici office d’ingrédients. L’originalité : le jeu proposait non pas seulement d’utiliser chacune d’elle en mode actif (dans un des quatre raccourcis de la barre d’action) mais, alternativement, associée à une autre fonction, ou encore en mode passif. Chaque fonction posséda donc trois effets, selon leur emplacement, heureusement résumés sur leur fiche. Au loisir du joueur, donc, de les assembler à sa manière, en fonction des ennemis, ou simplement pour moduler sa manière de jouer.
S’il fallut, pour en profiter pleinement, jouer davantage qu’un peu et être plutôt familier avec le système, le nombre de possibilité était vertigineux, contrastant plaisamment avec le martèlement de bouton de jeux moins gracieux ou l’absence d’alternative de jeux plus univoques. Quel ravissement, donc, de pouvoir se montrer indécis, de customiser le jeu à sa manière et d’être en permanence – jusque la seconde fin y compris – en train de découvrir de nouveaux effets. Jouer au chat et à la souris, après chaque avalanche de fonctions, n’ajoutant qu’au plaisir de combats forçant le joueur à se cacher le temps que la barre de Turn() se recharge, avant de programmer un nouvel enchaînement d’actions potentiellement destructrices. Il fut, en effet, impossible d’utiliser les fonctions pendant ce temps.
Il s’avéra que, par bien des aspects, Transistor était pensé pour être joué exactement deux fois. Lancer la récursion signifia en effet reprendre mon avancement, conservant par là-même les fonctions et améliorations débloquées. Ce qui me permit de débloquer les dernières fonctions disponibles, ainsi que – délicieux grain de folie de la part des concepteurs – une seconde fois chacune d’entre-elles. Les ennemis, naturellement, conservèrent également leur « avancement » : des versions 3.0 un rien discourtoises. De nouveaux tests vinrent en outre s’ajouter à ceux restant : les tests d’Agence, des un contre un permettant d’affronter notre double. J’eus donc fort à faire, certains succès Steam m’ayant permis de prolonger encore un peu le voyage, tel que celui qui me vit péniblement venir à bout de cinq combat avec dix limiteurs (des handicaps modifiant quelque peu les règles ; pour puristes uniquement).
Au delà de son système de jeu, l’univers de Transistor renfermait un intriguant conte moderne, taclant des idées empruntées, mais toujours aussi intrigantes – parce que, semblait-il, de plus en plus proches : la question d’une ville entièrement fonctionnelle et automatisée, de l’individu en tant que donnée, et celle, plus audacieuse, de la corruption de cette dite donnée, ou de sa captation après la mort – l’occasion de se montrer plus ésotérique. Le jeu possédait définitivement une identité qui ne s’arrêtait pas à la direction artistique ou à la bande son, faisant explicitement référence au vocabulaire et aux références du code informatique pour renforcer la technicité de son univers (ce qui expliqua pourquoi les fonctions : Cull(), Load(), etc., n’ont pas été traduites), mais aussi en s’inspirant, en relation avec l’idée de transistor, de la classification des composants électroniques.
Transistor prenait définitivement le risque de perdre le joueur, en le lançant à froid dans une situation déjà établie, en le plaçant au contrôle d’une héroïne qui a perdu sa voix, en le guidant, mais pas tout à fait, via une épée qui parle. Mais les 600 000 exemplaires vendus parlaient certainement en la faveur d’un jeu proposant, avec un certain talent, une histoire universelle, dans une forme qui l’est moins mais parcourt à l’envie le champ des possibles en matière d’amusement. Une interruption de vie, donc, aussi ludique que touchante.