Impressions

Exciter l’imagination (Firewatch)

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Quand on achète un jeu, on en attend toujours quelque chose. On ne peut pas s’en empêcher. On a cette attente presque trop exacte, une image parfaite de ce à quoi on s’apprête à jouer, bricolée à partir de sources très imparfaites : images, trailers, rumeurs. C’est qu’on aime se monter la tête, pour mieux vérifier nos suspicions.

L’idée que je m’étais faites de Firewatch, sur la seule base de la présentation du jeu à l’E3 2015, tenait à peu près en ces mots : « Je crois qu’on y incarne un garde. Il me semble également qu’il y a de nombreux dialogues rigolos. » Je n’étais pas loin du compte. Mais avant cela, avant le jeu, avant les rires, se propose une introduction un rien déconcertante, alternant récit à choix et phases de jeu. Des flashbacks qui dessinent progressivement le personnage de Henry, sa vie, ses bagages, son départ, et qui me collèrent un sacré bourdon – il est des maladies qui vous touchent d’un peu trop près. Les développeurs s’en expliquent au travers de l’étonnante version du jeu avec commentaires : ils voulaient que le joueur commence en ayant connaissance du (lourd) passé du protagoniste, comme s’il était le sien. Un procédé qui n’est pas sans rappeler le début de event[0], un autre jeu narratif de la même veine.

Passée la pesante introduction, le joueur se retrouve au lieu de son nouvel emploi : une tour de guet, en plein milieu de la forêt. Un job qui signifie, en théorie, rester confiné dans la tour pour surveiller les départs de fumée. Mais parce que ça ne ferait pas un grand jeu vidéo, Firewatch nous amène régulièrement à aller se rendre compte de la situation sur le terrain, talkie-walkie en main. A l’autre bout : Delilah, le boss de Henry, postée dans une tour plus au nord, qui l’invective et lui tient compagnie au rythme des longs trajets à pied. Le jeu se veut, en soit, un rien flâneur, avec son boulot d’été routinier, renforcés par des gestes bien précis (écrire, talkie-walkie, sac à dos, sortir), qui nous voit jour après jour enquêter sur le grave comme le moins grave. On se surprend à aimer languir dans les alentours à papoter avec humour ; les environnement étant juste assez plaisants et atypiques pour qu’on y croit. Au point qu’on finit par l’apprécier, ce petit coin de chez soi, qui bientôt ne requiert même plus l’usage de la carte.

Parler. Échanger. Se confier. Les dialogues incessant entre Delilah et Henry tiennent une place considérable, pour ne pas dire vitale dans le jeu. Aussi bien pour les personnage de Henry et de Delilah, qui y trouvent une attache, un lien, et puis une amitié, un moyen de s’évader à deux. Mais aussi à titre purement narratif. Le talkie-walkie, en plus de révéler leur profonde isolation, devenant un outil à partir entière de l’avancée de l’histoire. Quel sentiment glacial, alors, que de ne pas entendre la voix de Delilah, quand elle se vexe, ou quand elle ne répond pas. De lumineux instants où on réalise soudain être complètement seul dans un parc désespérément vide – à dessein. On fait l’idiot, à l’entrée d’une grotte. Pour de faux. Mais s’il devait y avoir danger, la vérité c’est que personne ne serait là pour nous aider.

Firewatch repose sur très peu de choses. Un job d’été a priori sans conséquence, deux personnages qui se parlent, beaucoup, et puis un inquiétant mystère. Quelques disparitions, un lieu étrange ; et voilà qu’on redoute le pire. Le jeu se nourrit, avec beaucoup de talent, sur cette tendance très humaine à tirer des conclusions, parfois hâtivement. Distillant indices et apparences comme papier sur braise. Alors on se monte la tête, on imagine, pris dans le mélange vertigineux des émotions brutes. Doute. Dis Delilah, il doit bien y avoir une autre explication. Paranoïa. Il y en a forcément une. La tension finit par être à un point tel qu’on se sent hésiter, scrutant le moindre mouvement suspicieux, s’attendant à ce quelque chose se passe. Et puis quelque chose se passe. Quelque chose de différent, de déroutant, d’inattendu. Brutal retour sur terre, pour des protagonistes qui se redécouvrent le désir d’aller de l’avant. Un été à part dans les mémoires.