Impressions

La métamorphose (Skyforge)

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Le mardi 6 octobre 2016 – jour de sortie du pré-patch de l’extension Ascension, Skyforge a entrepris une révolution longuement redoutée par les joueurs. Quelques deux semaines plus tard, et à l’orée de la mise à jour finale du 19 octobre, l’heure est venu de dresser le bilan de cette brutale transformation.

Vous avez dit Skyforge ?

Skyforge est un MMORPG qui est le fruit de la collaboration entre le studio russe Allods, auquel on doit le jeu éponyme, Allods Online (2011), et le studio américain Obsidian, connu notamment pour Pillars of Eternity (2015) et Fallout New Vegas (2010). S’il est sorti relativement discrètement, en beta fermée tout d’abord (mars 2015), puis en beta ouverte (juillet 2015), il est le résultat d’un développement ambitieux prenant ses sources dès 2010. Après plus d’une année de beta, une lourde crise de conscience précipite, en octobre 2016, la sortie de l’extension Ascension, dont le but avoué fut de refondre la plupart des aspects du jeu. Ce sera le sujet de la seconde partie de ce texte.

Skyforge est un MMORPG relativement atypique. A commencer par l’univers, un monde futuriste mêlé de religions plus traditionnelles, par opposition à « l’école » heroic fantasy, et qui voient les joueurs incarner des immortels accédant au statut de divinité. Un postulat attractif qui se manifeste à travers une forme divine aux limitations toutefois importante. Côté classes, le jeu a recourt à un système de trinité, mais pas au sens ou on l’entend habituellement. Exit, donc, le rôle de soigneur. « Tanks », « DPS » s’appuient ici sur des classes de « Support » basées sur des boucliers et des compétences d’amélioration de statistiques. A l’instar de Final Fantasy XIV, il est d’ailleurs possible de jouer l’ensemble d’entre elles avec un unique personnage – ce qui vient faire écho à l’idée des pouvoirs divins.

A l’inverse des dieux grecs, passionnés et impulsifs, les dieux de Skyforge que sont les joueurs sont posés, analytiques et généralement bienveillants. Toute « sortie » est planifiée depuis un centre de contrôle, l’Observatoire Divin, qui recense l’ensemble des zones disputées (de manière similaire à XCOM). Le jeu est ainsi structurée en une multitudes d’instances, souvent courtes (entre deux et quinze minutes) qu’on est appelé à refaire régulièrement pour différentes raisons. On y dénombre des donjons à trois joueurs (Squad), des donjons à cinq joueurs (Groupe), des raids à dix joueurs, ainsi que de rares zones ouvertes, appelées « Régions ». Si le jeu se révèle répétitif, l’accent a été mis sur la diversité des environnements, renforçant l’impression d’aller en des endroits très différents pour y affronter des envahisseurs tout aussi atypiques. Qu’il s’agisse des Mécanoides, à l’Usine 501, des Océanides, au port Naori, ou des Faucheurs de la Mort, au Village Darnic, tous les envahisseurs sont uniques, avec un aspect, un comportement et des compétences qui leur sont propres. Le moteur du jeu est, en cela, bien au delà de ce qu’on est habitué à rencontrer en matière de MMO free to play. Les combats, et les différentes animations, étant un des gros points forts du jeu.

Avant Ascension, il y avait

Avant que Ascension ne change la donne, la principale attractivité de Skyforge il fallait aller la chercher dans le développement de son personnage. Les méandres des sous menus dévoilaient alors un système tortueux et complexe, ou l’on se voyait, pas après pas, gagner en puissance. Pour tout dire, c’était une entreprise un peu folle d’y jouer, car améliorer son personnage supposait de s’intéresser à une large diversité d’éléments. Au rang desquels se trouvaient les « Atlas », des sphériers pour le moins conséquents, qui octroyaient caractéristiques, talents, passifs, symboles (passifs multi-classe) et résistances. C’est également par leur biais qu’on obtenu de nouvelles classes au delà des trois de base – un aspect critiqué, pour leur difficulté d’accès. S’ajoutait à tout cela l’Ordre, un « mini jeu » de gestion qui permettait d’envoyer ses adeptes en mission et d’établir des provinces pour en tirer du pouvoir.

Développer son personnage dans Skyforge était, à tout bien considérer, le théâtre d’un immense champ de bataille où il était aisé de perdre la tête. Le système de « Prestige » (sensé être représentatif de ses capacités), en lieu et place d’un système de niveaux plus classique, et le système de « scaling » (nivellement de différents personnage, en groupe) ajoutant à la confusion des débuts. En point de mire, se dressait cette gigantesque machinerie où chaque vis, chaque écrou trouva une vocation bien précise : animer, peu à peu, l’énorme pouvoir gisant secrètement au sein de notre personnage. Naturellement, le jeu croula bien vite sous la complexité de ces systèmes, guère attractifs, freinés par une interface complètement hors de propos sur PC. Sans que ce fut jamais l’intention, le jeu était pris au piège de sa propre vanité. Il lui fallait donc évoluer.

Allods considéra trois objectifs : plus de clarté dans la progression, plus de sécurité dans le développement du personnage, et moins d’abstraction, en terme de systèmes. Trois pendants louable, en théorie, mais qui posèrent tout de même question dans leur approche.

L’après Ascension

Avant même son déploiement, les retours russes suscitèrent une appréhension confuse à la vue du « nouveau » Skyforge. De nombreux joueurs estimant alors que les changements n’allaient pas dans la bonne direction. Plutôt que de simples modifications, c’est peu dire, en fait, que l’extension a résumé le jeu à sa plus simple expression. Le développement des personnages s’en est trouvé amoindri : nombre de compétences réduites et communes à tous les joueurs, statistique unique (puissance), classes qui usent tous du même équipement, symboles et passifs revus… Conséquemment, les possibilités de personnalisation sont devenues négligeables, et se résument au choix de six symboles parmi vingt-quatre. S’ajoute, à ce tableau horrifique, la progression, devenue linéaire – les sphériers ayant été troqué pour de simples « segments », ainsi que la suppression pure et simple de la plupart des types de ressources. Seuls subsistent les « crédits », qu’on utilise pour acheter de la puissance (sic), les « connaissances des ennemis », qui permettent de débloquer puissance et classes, ainsi que les « stimulants », sur lesquels je reviendrai. Plus curieux : le loot, ce parangon du MMORPG, est désormais réservé aux donjons à cinq et dix joueurs, les autres zones ayant été rendues inutiles en la matière. Avec ça, les boss ont désormais une limite de loot journalière. On est un free to play ou on ne l’est pas.

Au rang des point positifs, changer de classe – ce qui pouvait être intimidant par le passé – est désormais devenue chose aisée. Les combats ont également bénéficié d’un soin particulier, ce qui met l’accent sur l’attractivité du gameplay. Cette nouvelle mouture étant certainement plus à même de pérenniser les nouveaux joueurs, qui n’auront clairement pas à se poser la question de quoi choisir pour progresser. Ce qui donne une fluidité nouvelle au jeu, dans lequel il est aisé de se connecter de temps à autre sans avoir à se soucier de devoir programmer ses choix longtemps à l’avance.

Le jeu a en fait complètement changé de structure. La traditionnelle course aux ressources a ainsi été remplacée par des objectifs et des quêtes journaliers requérant de « tuer tel ennemi » ou de « faire telle zone ». On devine également, entre les lignes, le renforcement de la politique free to play de Allods, qui table sur une présence quotidienne de quelques heures au moins. Directives et quêtes quotidiennes sont là pour encourager les joueurs à se connecter régulièrement. Les développeurs ont toutefois pris grand soin de freiner la progression des joueurs. Car si officiellement Ascension a remisé au placard l’ancienne limite hebdomadaire (qui régulait le gain de ressources), en pratique le jeu est toujours aussi limité, sinon plus. Que ce soit dans la limite de loot, ou dans les directives et les quêtes, disponibles au jour le jour. Ce qui ne serait rien sans les fameux « stimulants », récupérés au compte goutte, au fil des connexions. L’astuce ? Proposez des lots de directives comprenant des objectifs qu’il est obligatoire d’accomplir pour obtenir la récompense du jour. Placez dans ces objectifs du JcJ, des zones difficiles, ou des raids impossibles à faire. Demandez à les valider automatiquement en utilisant des « stimulants ». Vendez les dits « stimulants » dans la boutique. Ca-shing.

Fin d’un monde

Le bouleversement introduit par Ascension laisse incrédule. En tant que joueur, d’une part, dans un environnement remodelé pour le pire comme le meilleur. Mais aussi objectivement, car il est extrêmement rare de constater pareil changement de politique, a fortiori dans les MMORPG, ou la familiarité joue un rôle important. C’est un pari risqué que tente Allods, au devant d’une fréquentation en berne. Abandonnant un rien prématurément, après à peine plus d’un an de beta, une formule qui n’a jamais trouvé son rythme de course, et qui aurait mérité un peu plus. Perdurent, par delà Ascension, interface crispante, fonctions sociales limitées, JcJ inexistant ainsi que pléthore de bugs qui l’auront empêché de faire mieux. Les problèmes identifiés par Allods étaient avérés. Mais la réponse tape à côté.

Pour tous ses travers l’ancien Skyforge était incroyablement gratifiant. De nombreux joueurs n’étaient là que pour sentir ce vertige dans les atlas, pour se perdre dans les détails et avoir l’omniprésence du choix à leur portée. Incendié, l’audace. Le Skyforge nouveau, bâti sur les cendres de l’ancien, et la trahison de ceux qui lui étaient fidèles, propose une utopie à laquelle on a du mal à croire. Le malaise, le vrai malaise, il n’est pas juste dans la brutalité des changements, non. Il est dans le profond marasme d’une progression rendue impossible. Avec Ascension, Skyforge n’est pas seulement devenu ballot : il a troqué sa richesse pour pour une alternative routinière et avare, qui vous accapare pendant des mois sans jamais donner suite. Comme toutes les utopies, celle-là n’aura donc pas tardé à s’effondrer.