En bordure de lac s’élève un homme nu, à la peau grisâtre. L’individu est rond, a des bourrelets et présente une calvitie naissante. Une mélasse répugnante recouvre sa peau. Il entreprend de traverser la forêt pour trouver de l’aide. L’ambiance est noire, pesante, bientôt délirante, à mesure que des visions l’assaillent. La présence de la foret, épaisse et sinueuse, l’écrase. S’en suit une scène brutale, incompréhensible et sordide. Et puis la lumière, à nouveau.
Sortie de tunnel. Saga apparaît à l’écran, accompagné de Casey. Les deux détectives, arrivés de la grand ville, débarquent en pleine cambrousse. Elle est brillante, assoiffée d’enquête, passionnée. Il déteste la nature, et est sans doute un peu fatigué. Quelques réminiscences de Deadly Premonitions s’invitent. Sauf que le trait n’est pas le même : il est gras et parodique, à l’image du jeu dans son entier. Quelques remarques, façon badauds, fusent ; par le biais des assistants du shérif, d’abord, inaptes et indélicats, qui communiquent ouvertement sur la radio leur méfiance et leurs idées reçues. Mais cette différence ne subsistera pas. L’histoire incorporera très rapidement ces deux corps étrangers à leur environnement.
La forêt est d’abord douce. Les oiseaux chantent, de magnifiques rayons de soleil y traversent, perçant par endroit un brouillard déjà puissant, qui tire un film opaque sur les alentours. Les notes et journaux disséminées ça et là rapportent peu d’inquiétude. Cela – et un assassinat brutal – mis à part, les débuts sont sains et calmes, pour ne pas dire policiers, en tout cas pour un fait divers morbide. La ville est accueillante, les gens bavards. L’ambiance est même à la fête : la fête du cerf est proche. Mais l’optimisme ne résiste pas longtemps aux premières déferlantes du paranormal, qui vient broyer les corps, faire fi du pragmatisme, et écraser toute forme de béatitude. Et laissent, dans leur sillage, des morts, des interrogations. Des notes. Des mots écrits. Une souillure sur une page blanche. C’est ainsi que Alan Wake apparaît, en la qualité d’observateur omniscient, pour conseiller Saga de façon indirecte. Les pages écrites, trouvées ça et là, lui raconte un futur à venir. Un futur terrifiant.
De retour dans la forêt, le paranormal accable rapidement Saga et Casey. Dans cette nature désormais sombre et redoutée, la lumière joue alors un rôle saillant ; et le jeu, d’emprunter à Alan Wake premier du nom, le rôle salutaire des lampes torches, à la fois puits de lumière et arme contre les corrompus. Les affrontements contre ces derniers, en particulier lors des premières mauvaises rencontres, sont spontanés et brutaux. Des humains avec masques, ou sans masques, à la conscience altérée, attaquent violemment Saga. Ce qui m’a mené plus d’une fois à une mort abrupte, le temps de prendre en main les esquives, et d’agir de façon efficace. Ce qui profite à une chaude et agréable survie.
Point de vue ambiance, Alan Wake II n’est pas Control. La tension permanente, le manque de visibilité et les bruitages encouragent à une paranoïa douillette, aux présupposés et à l’inquiétude. Même lorsque l’histoire semble s’expliquer, les notions demeurent complexes, et le rôle de Alan Wake mystérieux. La trame, qui s’écrit elle-même par l’intermédiaire de l’auteur, tisse une lente glissade vers la folie. Les mots posés, et les choses comprises, devraient en théorie profiter à la compréhension. Pourtant, l’endroit sombre n’en demeure pas moins suffoquant, la présence sombre terrifiante, les habitants absurdes, et le jeu globalement inconfortable. A côté de ça, les mécaniques, lentes, penaudes, n’ont pas vocation à avoir l’explosivité de Control. L’équipement et les munitions limités et le qui-vive quasi permanent créent, au contraire, un état d’angoisse et d’incertitude. Je ne me suis que très rarement senti serein et confiant.
En pleine forêt, en pleine nuit, entre des murs tâchés de sang, ouvrir le Palace mentale de Saga rend quelque tranquillité, un bref répit. Entre ces murs imaginés, son bureau, un coin cuisine, et des centaines de dossiers qui lui servent de base et de repère pour faire progresser son enquête. La qualité de son analyse, méticuleuse, tout autant que laborieuse, à coup de post-it collés sur le mur, de profiling des individus rencontrés, d’accumulation de notes, s’opposent invariablement à la folie, là, dehors. Alan dispose d’une mince équivalence, car il progresse en des endroits différents. Lui est peut-être déjà fou, d’ailleurs. Ou l’a été, mais ne l’est plus. Le doute reste ancré, tant il semble jouer la même partition.
Alan Wake II parvient, avec malice, à faire cohabiter les deux esprits de Remedy : d’une part son univers, que le studio tisse progressivement de titre en titre, et bientôt de façon trans-media. On y trouve d’ailleurs des références explicite à Control, à l’Ancienne Maison, et à ses concepts d’analyse scientifique des évènements paranormaux, mais cette fois-ci vécus de l’intérieur (les DLC valent d’ailleurs le coup d’oeil). D’autre part, la caricature, pour ne pas dire la satyre assumé du genre horrifique, pastiché sous forme d’affiches qui moquent les principaux travers du genre, telles que les peurs-surprises : le titre en est ironiquement un fervent utilisateur. Tout comme il emprunte au genre certains de ses lieux iconiques. Remedy, avec force d’autodérision, n’entend pas faire mieux, mais il le fait néanmoins. Alan Wake II est, quelque part, ce que pléthore de jeux d’horreur, grande licence comprise, ont cherché à faire, sans jamais réussir à avoir : un jeu à l’action désemparée, et une angoisse qui colle au corps.
A côté de ça, le studio se permet de beaux délires, comme il en faudrait davantage. Parmi lesquels : une incroyable comédie musicale, les mises en abîmes répétées de Alan, le talk-show à l’américaine, et les nombreuses scène filmées avec les vrais acteurs. Aussi, la présence de notre précieux technicien de surface, Ahti, parachève cette multitude de ton, de voix, et de belles absurdités. Avec pour résultat un univers – non plus simplement un « jeu d’horreur », au brin de folie assumé.