Je ne sais plus comment je faisais. Pour rester cinq à six heures à jouer d’affilée. Ici, mes yeux fatiguent si vite qu’après deux heures seulement je les retirerais bien pour les mettre dans une boite. Le temps qu’ils se reposent.
Ce n’est pas complètement de leur faute. Au travail, déjà, l’écran est au centre de tout. Je le regarde à longueur de journée. C’est mon principal outil de travail. Mais c’est aussi devenu, au fil des ans, un foyer important de fatigue oculaire et de douleurs posturales. Je fais ce qu’on m’a conseillé : je regarde dehors. J’accomode, sur des arbres, des nuages, des toits de maison. Et puis je reprends l’écran. Parfois je suis les contours de la pièce, ou bien je cherche tous les objets blancs. Pour créer des mouvements de nuque cohérents avec ce que je vois, et diminuer les tensions. Ça ne fait pas de miracle, mais ça ne fait pas de mal non plus.
Malgré tout, au fil de la journée, les yeux fatiguent. Je sens comme un poids apparaître. Et puis mon acuité baisser. Au retour, en voiture, je réalise combien la luminosité m’indispose. Je sors alors les lunettes de soleil. Arrivé à la maison, d’autres écrans m’attendent : tablette, smartphone. Mes yeux, qui font déjà de leur mieux pour voir, n’ont de cesse de travailler. Si bien qu’arrivé en fin de journée, au moment ou je voudrais me détendre, accompagné de mes yeux naturellement, ils se lassent. C’est normal ; je leur en demande beaucoup. Mais c’est que j’aime jouer. Et que ça ne se fait pas (encore) sans écran.
Il est su, mais pas forcément dit, que jouer peut s’avérer drainant (selon les genres et l’implication). Physiquement : mouvements répétés qui sollicitent mains et poignets, postures fixes pouvant créer des tensions. Mentalement : lecture, interprétation, raisonnement, capacité à tirer des conclusions, à établir un plan, et tant d’autres encore… qui sollicitent les capacités intellectuelles. Les années ont, fort heureusement, créé nombre d’automatismes, de réflexes, et une certaine spontanéité intellectuelle (ahem). Je réalise néanmoins que mes yeux, eux, saturent plus rapidement. Ce qui, couplée à une fatigue intellectuelle quasi monopolistique, a tendance à limiter les temps de jeu.
A bientôt trente-six ans, je réalise combien l’invincibilité d’en avoir vingt est loin. J’ai ri, tant de fois, des messages d’avertissement me priant de faire une pause toutes les deux heures. Désormais, je réalise combien j’en ai besoin. Un peu comme un vieil appareil photo, dont l’objectif serait fatigué, mais qui a toujours le même sens du détail. Je ne peux m’empêcher de me demander : qu’ai-je troqué ? Il est coutume de dire, en terme de sport, qu’avec l’âge on perd en récupération ce qu’on gagne endurance. L’équivalent étant ici faux, serait-ce à dire, qu’à force de jouer, on troque l’endurance de sa jeunesse contre… l’expérience des situations passées ? Un regard affuté sur l’œuvre ? Une plus parfaite compréhension des sources et inspirations culturelles ? C’est encore à déterminer.