Humeur

Confinement : à la conquête des quotidiens

Le confinement, en réponse à l’épidémie du Covid-19, a fait voler en éclat notre quotidien. Règles de sortie strictement édictées, école à la maison (pour les parents), télé-travail, chômage partiel (voire entier), denrées alimentaires raréfiées. J’ai beau m’être adapté, à ce pays au ralenti, tout cela me parait encore un rien surréaliste. Je ne manque de rien – sinon pas grand-chose, et surtout je ne suis pas de ceux exposés tous les jours à la maladie. Je vis avec ma compagne. Mon quotidien, aussi bouleversé soit-il, consiste à rester professionnellement dans l’expectative, et à apprendre des choses à un petit garçon. Le reste du temps, je l’occupe à rester actif, occupé, et à me dépenser. Bref : je soigne ma caboche.

Je déteste m’en faire. Je considère m’être suffisamment rongé le foie quand j’étais plus jeune pour ne plus m’adonner à la pratique. De neutre chaotique, je suis passé à loyal bon, pourfendeur du négativisme, templier de l’anti-chienlit. Je me suis donc attelé, dès les premiers jours du confinement (ou de la guerre sainte, selon rhétorique présidentielle), à imaginer, sur le papier, un programme quotidien. J’ai cru, un moment, avoir l’ardeur d’annoter mon propre « journal du confinement », en référence aux divers travaux de fiction que j’ai pu lire. Finalement, les journées se sont organisées d’elles-mêmes. Allier les taches professionnelles aux taches ménagères, avec un soupçon d’activités sportives, et des moments d’amusement. Tout ce qu’il faut pour faire une journée.

J’ai joué, évidemment. Les soirées silencieuses et les fins d’après-midi ensoleillées étant propices à feuilleter les expériences. Je suis ainsi venu à bout de Devil May Cry (Capcom, 2001, Playstation 2 – Remaster Xbox 360 sorti en 2012), Luigi’ Mansion 2 (Nintendo, 2013 – 3DS) et Hotline Miami 2 (Dennaton Games, 2015 – PC), qui prenaient la poussière depuis quelque temps. Quasiment certain de vouloir jouer sur Playstation 3, j’ai sauté de jeu à jeu, pour trouver mon chemin. Atelier Rorona : The Alchemist of Arland (Gust, 2014 – Playstation 3) s’est avéré mignon, mais sans densité ; Disgaea 4 : A Promise Unforgotten (Nippon Icchi Software, 2011 – Playstation 3) a fait montre de l’humour spécifique à la série, mais je ne me suis pas senti l’envie d’y passer un grand nombre d’heures. C’est Labyrinth of Refrain (2018 – Playstation 4), du même développeur que ce dernier, qui a finalement retenu mon attention. Parmi ses atours : il est aisé à prendre en main, le chara-design est plaisant, le ton et les personnages sont drôles. Plus intéressant : il brise un peu les « murs » du dungeon-RPG classique, en autorisant saut d’obstacle et, justement, bris de murs. Malheureusement, le style étant répétitif, et le titre aisé, j’ai lâché prise au bout d’une dizaine d’heures.

Un panier de jeux plus tard, je me suis retrouvé aux prises avec des jeux que je sais ne pas vouloir quitter : Resident Evil 2 (Capcom, 1998 – Playstation 1), Virtue Last Reward (Chunsoft, 2012 – 3DS), Assassin’s Creed Odyssey (Ubisoft, 2018, PC), The Legends of Heroes : Trails of Cold Steel (Nihon Falcom, 2016 – Playstation 3). Chacun de ces jeux m’offre, en leurs qualités très différentes, des options. Comme autant de façons de s’investir différentes : l’ambiance horrifique, le huit-clos énigmatique, le dépaysement guerrier et l’aventure fraternelle. Composant par là-même une variété d’univers et de récits prompts à la survie, à l’intrigue, à la découverte et la construction de soi. Selon les envies, des émotions contradictoires se mêlent en moi.

Je réalise, en les circonstances, combien ces lignes sont luxueuses, presque pédantes. J’ai cette chance, d’avoir une vie stable, un foyer, un salaire. Je me nourris des œuvres culturelles du monde entier. Alors qu’il y a des morts, partout dans le monde, je passe des jours sans tracas. Au drive, alors qu’on remplit mon coffre pour moi, je doute, je culpabilise. Je n’ose me rappeler, vous rappeler, combien nous sommes privilégiés. Le jeu vidéo est ce qui nous rassemble – en ces lignes, en d’autres lieux. Mais ce n’est pas ce qui nous définit. Confrontés aux aléas ô combien surmontables de notre quotidien, qui ont largement pris le pas dans l’échelle des valeurs, n’oubliez pas : les très grandes victimes de cet état d’urgence, ce sont les laissés-pour-compte. Les sans-domicile, les isolé.e.s, les dépossédé.e.s, les sans ressources. Eux n’ont pas ce luxe d’évader le corps comme l’esprit. Car ils n’ont pas le pouvoir de se protéger. Ayons une pensée pour eux. Et surtout : prenez soin de vous.