La lumière du soleil traverse la pièce. Petit T, dont le visage est à l’ombre, grâce à un petit fauteuil stratégiquement placé, tente désespérément de s’endormir sur son tapis. Ses jambes s’agitent, se lèvent et puis retombent. Ses bras naviguent, enserrant alternativement panda-papier-bruyant, serpent-bille, soleil-clochette, cube-clochette et cylindre-bois. Tous se mêlent à proximité de son visage, impérieusement ramenés à la bouche, pour y être dévorés l’espace d’une seconde, puis relâchés. Lorsqu’il se couvre ainsi de jouet, c’est que la fatigue est pressante, et le besoin de réconfort accentué. Dans ces prémices au sommeil, ses propres mains se confondent invariablement au reste. Dans sa bouche, un bout de doigt succède à un bout de soleil. La différence est faible, du moment qu’il y a matière à tûter. Enfin, c’est sans compter sur le pouce. Le pouce qui, fallait-il s’y attendre, finit souvent par en sortir vainqueur. Ce pouce qui, il y a deux mois encore, se confondait avec l’index, plus grand, plus sophistiqué, plus goûteux. Mais qui désormais parade parmi les doigts, avec son air moqueur et ses manières à part.
Petit T ne dort pas tout à fait. Je lui refais un coin d’ombre. J’en profite pour exercer ma plume. Je sens encore, sous mes paupières, les soubresauts d’une semaine déjà usante, pour ne pas dire psychologiquement éreintante. Les mêmes dialogues et les mêmes scènes défilent ; ce sera le cas, tant que leur fraîcheur ne se sera pas tarit. Je les chasse, comme je chasse la négativité. Je force ma condition – une condition décidément collante de réactionnaire silencieux. Petit T se tourne, bruisse, parle. Il se réveille, s’anime, tourne la tête. Voilà que je lui cris : « Pas de croissant, pas de croissant ! », en me précipitant vers lui – en référence à ses postures alambiquées qu’il prend parfois. Dans la seconde qui suite, le téléphone sonne : un livreur arrive. La journée redémarre. Et moi avec.