Je lançai Dungeon of the Endless à tout hasard ; croyant, dans mon esprit dérangé, me lancer dans un jeu d’aventure ou bien d’exploration. J’accrochais, de la plus déraisonnable des manières, y investissant bientôt tout mon temps libre. Sans bien en savoir la raison.
Chaque moment d’étourderie, chaque fugue de l’esprit, pendant deux semaines je les ai noyés dans Dungeon of the Endless. Plusieurs heures d’un coup, ou picorant du jeu ça et là, en fenêtré, l’espace d’un moment. Finissant toujours par interrompre le reste de mes activités, rattrapé par la difficulté croissante et la taille de plus en plus conséquente des étages. Sans oublier ce hasard punitif qui conditionne si superbement le genre. Pas de quoi me dissuader toutefois. Jusque tard le soir, sans ressentir la moindre once de lassitude, je lançai groupe après groupe dans le donjon. Arpentant les couloirs à la recherche de la sortie. Ouvrant salle après salle dans l’espoir d’y trouver quelque chose. N’importe quoi.
Ouvrir une porte, dans Dungeon of the Endless, c’est quelque chose qu’on répète à l’infini mais qui n’a rien d’anodin. A chaque instance, c’est l’espoir renouvelé de dénicher quelque chose d’importance : trésors, marchands, aventuriers disposés à rejoindre le groupe ; sinon des emplacements permettant de déployer des modules (qui génèrent des ressources ou agissent en tourelles) ; ou bien encore cette précieuse brume, grâce à laquelle il est possible d’éclairer des salles. Autant d’éléments aisés à trouver en début de partie, mais qui se font de plus en plus rares. Ce qui fait d’ouvrir une porte une proposition de plus en plus risquée, car chaque porte est en fait le possible déclencheur de l’arrivée des monstres, qui gisent dans l’obscurité. Mais puisqu’il s’agit aussi de la seule manière de générer des ressources, le jeu nous plonge dans ce dilemme, nous tente ; une porte de plus et c’est l’avalanche.
Il faut donner du temps au temps pour résoudre l’énigme qu’est Dungeon of the Endless. Une large part du jeu existant au delà de ces simples règles. Il y a, c’est certain, un plaisir à fourbir ses idées, à affiner sa stratégie ; le jeu offre pareil territoire. Tout comme il est certain qu’il faut y échouer pour entrevoir la lumière. Ce qui m’arriva plusieurs fois, en « Facile » pourtant (le second des deux modes), avant de m’en remettre au « Très facile », duquel je sortis rapidement victorieux. De là, ce fut le déclic : je vins à bout du mode « Facile », et puis tant d’autres fois ensuite. Je renouvelais l’expérience avec un plaisir intact, éprouvant chacun des personnages et perfectionnant ma stratégie. Bientôt obsédé par le fait de contrôler au mieux le jeu et ses soubresauts, pour mieux m’en remettre au hasard. L’appétence glissant, à chaque plongeon, doucement vers l’orgueil des jeux que l’on connaît sur le bout des doigts. Ce qui me rendit par là-même l’échec plus difficile à admettre, en particulier lorsque le hasard capricieux crut bon de crucifier mon groupe à l’étage final. Pas de brume, pas de chocolat. Mais c’est le jeu.
Après soixante-dix heures d’obsédant divertissement, le jeu semble hors de mon système. L’obsession expurgée laissant naturellement place au questionnement. Pourquoi ce jeu, et pourquoi à ce moment ? Le question du contexte est aisée : je traversais alors une période compliquée, et jouer me servit d’échappatoire. La question du jeu, en revanche, est plus abstruse, mais aussi plus intéressante, puisqu’elle repose selon moi autant sur le genre – tower defense / dungeon crawler –, âpre et répétitif, qu’à ses qualités propres : variété des personnages, gameplay accrocheur mais à l’investissement limité, large marge de progression, et enfin aisance avec laquelle le jeu se lance et s’arrête, facteur non négligeable. (Qui eut cru que l’immédiatement accessible, au contraire des interminables chargements, des défilés de logos, des pages d’accueil à n’en plus finir, puissent à ce point se montrer engageant.) Il est clair que me dépasser, me débattre, faire preuve de courage, en est encore la meilleure métaphore.
La recette de Dungeon of the Endless est en revanche à ce point particulière qu’il n’y a pas d’entre-deux : ou bien elle vous séduira – comme elle m’a séduit, ou bien elle vous laissera totalement de marbre. Cela étant dit, pour les plus frileux, une autre des grandes qualités de Dungeon of the Endless est qu’il ne vous presse pas. Le jeu vous donne au contraire tout le temps nécessaire pour vous préparer, le tour par tour permettant de réévaluer la situation et de prévoir au mieux l’arrivée des monstres. Il vous libère aussi – un peu – les mains, les personnages attaquant de manière automatique les monstres dans la même pièce. En somme, il est surtout question de se préparer du mieux possible et d’occuper intelligemment le terrain. En certaines occasions, en particulier vers la fin, il vous sera tout de même demandé de réagir activement pour déclencher certaines compétences ou contenir les vagues qui débordent. Ce qui passe aussi par mettre le mode «pause » à profit.
Bien qu’il hérite de mécaniques similaires aux dungeon crawler, où les aventuriers sont le plus souvent solitaires, courageux et bien équipés, Dungeon of the Endless va plus loin en faisant d’eux des choses désespérément fragiles. Même au sein d’un groupe leur survie n’est pas assurée. L’aide des machines, qui font d’eux des surhommes, combattent à leur côté, ralentissent les ennemis, leur est donc indispensable. Une tricherie qui ne suffit parfois qu’à peine, les monstres étant en quantité et l’appétit du donjon sans fin. Dans les tréfonds, au plus fort du combat, l’action est à ce point intense qu’à l’écran tout se confond dans un gloubi-boulga coloré. Hommes, monstres et machines ne semblent alors plus faire qu’un. Le seul paramètre qui importe encore étant les jauges de vie de nos héros, qui tressaillent brutalement d’un bout à l’autre. Ici, ils ne sont ni morts, ni vivants. Si j’appuie trop tard, sur la croix verte, ils sombrent. Mais je veille, je tiens bon. Ça tient, ça va tenir. Rocher à la mer, contre lequel les vagues s’écrasent. Ça tient, ça va tenir. Le cristal est attaqué, le cristal est attaqué. C’est bon, on s’en est sorti. On est toujours là. Une porte, une dernière porte ?
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