Les yeux rivés sur la page du jeu, à deux doigts de l’acheter, ma poitrine se serra. Je me tenais peut-être devant le jeu qui m’emporterait loin de tout ça. D’exaltantes aventures, au fond de l’océan, à toiser les créatures marines, qui m’aideraient non pas à oublier, mais à me reconstruire. Un coup de téléphone interrompit le fil de ma pensée. Ce fut l’intendante de la maison de retraite, qui m’informa avoir retrouvé un de ses t-shirt. Je lui répondis d’accord, j’irai le chercher, merci, même si je m’en fichais. Elle me demanda, par politesse, comment j’allais. Pris au dépourvu, de me voir aussi directement poser la question, je contournais gentiment, causais démarches. Avant de la remercier et de lui souhaiter une bonne journée. Aussi étrangement détaché que me parut l’expression. Je détestais déjà l’idée de retourner là-haut, d’avoir à prétendre, de sentir leurs regards… J’abandonnai une nouvelle fois mon train de pensée, et posai à nouveau les yeux sur l’écran. J’avais envie de croire que Subnautica pourrait me soigner de tout ça, briser un peu de cette torpeur dans laquelle je me trouvais. Une partie de mon hésitation venant du fait que je n’avais pas réellement l’argent pour. Mais peu m’importait. Il me semblait, qu’à ce moment précis, j’avais éperdument besoin de vivre « autre chose ».
Dehors, la fournaise estivale dans laquelle j’avais marché toute l’après-midi semblait rattraper son retard. Dedans, le jeu se lançait à peine, et déjà l’océan s’étendait à perte de vue. ”Greetings, survivor. Great job not dying.”, me félicita d’entrée de jeu l’IA de ma capsule de sauvetage. Je tiquai sans le vouloir, et décidai de monter l’échelle se trouvant face à moi. Je me trouvai à l’extérieur, perché sur la capsule, appréhendant déjà l’idée de devoir plonger dans cette immensité d’eau, mais souhaitant tout à la fois m’y perdre. Là, en-dessous, c’était l’inconnu. Quelque chose que je redoutais profondément.
En matière d’introduction, Subnautica n’expliqua pas grand chose, le gameplay étant minimaliste et l’interface tout aussi minime. Le seul indicateur étant une liste de choses à construire dans le fabricateur. Je retroussais mes manches et allais au plus urgent en attrapant d’abord quelques poissons, histoire de les transformer en eau et en nourriture consommables. De la flore et des minerais alentours, je fis un couteau, pour pouvoir me défendre ; un scanner, pour mieux comprendre le monde m’entourant ; ainsi qu’une lampe-torche pour éclairer les eaux une fois la nuit venue. Cette dernière s’avéra salutaire, l’obscurité pouvant s’avérer particulièrement oppressante. Ainsi équipé, je pus plus sereinement me familiariser avec mon environnement.
Je n’accrochai pas immédiatement à tout ça. Aux allers et retour entre ma capsule et l’océan. Aux listes de choses à construire qui tenaient un peu de la liste de courses. Ce fut au fil du temps que je réalisai combien j’appréciais… nager. Simplement nager. Je n’ai jamais été un bon nageur moi-même, mais l’eau me confia une telle liberté de mouvement dans le jeu que je me surpris à envier les personnes pouvant faire ça dans la vraie vie. Juste évoluer dans l’eau, naviguer entre les obstacles, caresser le plancher océanique, frôler les grands herbivores. Une idylle éphémère, la tension étant toujours palpable. A l’idée de manquer d’air déjà. Fuir vers la surface pour remplir ses poumons d’air étant une routine indispensable. Mais c’est la pensée, toujours présente, de croiser des créatures peu amènes, certains me l’ayant fait savoir très crûment, qui m’effraya le plus. Combattre n’étant qu’une maigre et indésirable alternative. Je me sentis néanmoins comme happé par les flots, intrigué à l’idée d’en voir plus et d’aller plus profondément sous la surface.
Il me sembla caler, un temps au moins, lorsque je réalisai avoir construit l’essentiel des objets à ma disposition. C’était là le risque des jeux ne donnant aucun objectif clair. J’eus même fabriqué même de ridicules petits conteneurs oranges, qui dès lors flottaient à proximité de ma capsule de sauvetage, et que je remplissais compulsivement de Titanium, de Quartz, de Copper et de Silver. Je finis toutefois par réaliser qu’il me manquait des plans, lesquels ne se récupéraient qu’en scannant les petites boites rectangulaires se trouvant ça et là sur la plancher océanique. Mince, oui, je les avais bien vues, mais avais simplement omis de m’y intéresser de plus près. L’erreur rectifié, il fut enfin possible de gagner accès à mon premier submersible. Un poisson-papillon que j’appelais pas-un-poisson-papillon. Et qui me fit me sentir à l’abri comme jamais.
Subnautica n’avait aucun ordre établi. Il n’y avait pas de bonne ou de mauvais manière de faire les choses. Les seuls besoins primaires étant une soif à étancher et une faim à satisfaire, du reste assez peu envahissants. Des drôles de ”Airsack” par ci. Des ”Peeper” par là. Le jeu laissant par ailleurs la possibilité de faire sans au moment de lancer une nouvelle partie. Ce paramètre mis à part, je me trouvais libre de faire ce que je voulais, de m’organiser de la façon dont je le souhaitais. Je me mis donc en tête de stocker de l’eau filtrée, étant la seule chose qui se conserve, pour pouvoir me consacrer à des objectifs plus larges. Quoi faire, dès lors ? Explorer davantage ? Chercher davantage de plans ? Ou bien commencer à construire ma base ? N’était-ce pas un peu tôt ? Non, une base, en effet, ce serait bien, décidais-je. Pouvoir stocker des choses et être à l’abri, ce serait bien.
Avoir une base fixe, en l’absence d’un Cyclope dont je ne parvenais décidément pas à rassembler tous les plans, me fut salutaire. Psychologiquement, d’une part. Avoir un îlot au sec pour se poser quelques minutes, sans avoir à s’inquiéter du manque d’oxygène ou surveiller son entourage, me permit de recharger les piles. Certaines de mes expéditions s’étant avéré absolument terrorisante, il m’arriva plus d’une fois de revenir pour me calmer et mieux préparer la prochaine sortie. En terme de logistique, pouvoir stocker et organiser mes ressources s’avéra également capital. Certains appareils, une fois construit, permettant de soulager de beaucoup la dite organisation. Rentrer chez soi pour trouver une bouteille d’eau déjà purifié et des patates sur pousse, par exemple, étant un luxe auquel on s’habitue rapidement. Sans compter les très nombreuses améliorations qu’il fut dès lors possible d’apporter à mon matériel.
Durant les temps morts, songer à ma base – et aux améliorations que je désirais faire – se révéla étonnamment réconfortant. Quelle pièce ajouter et à quel endroit. Oh, et ne pas oublier, pensais-je, de résoudre les problèmes d’énergie que je rencontrais. Autant de problématiques excitantes. Avoir mon chez moi, y faire mes premiers pas, m’y sentir à l’abri de tout, mourir en me retrouvant bloqué à cause d’un bug : autant de choses qui n’avaient pas leur pareil. Je mis toutefois très tôt une emphase importante sur la transparence. Couloirs en verre, fenêtres vers l’extérieur ; des salles entières, à nue, s’ouvrant vers les eaux voisines. Ne pas oublier ce qui se trouvait au dehors. Ne pas oublier. L’embrasser, même. Sentir le poids de l’océan contre moi pour mieux le narguer. Depuis un bureau rapidement aménagé, dont les seuls meubles furent une table et une chaise sur laquelle je ne pouvais même pas m’asseoir, je toisais les alentours. Le jour levé j’apercevais la crevasse avoisinante, au-dessus de laquelle virevoltaient quelques poissons, s’enfoncer à cinquante mètres de profondeur. De nuit, il ne resta rien d’autre qu’un mur de noir, placardé à deux mètres. Rien ne semblait s’en défaire. J’entrepris d’ajouter des spots pour éclairer les alentours, mais je dus les retirer, faute d’énergie suffisante. Aussi désespéré étais-je d’éclairer ces trop courtes nuits, sentir le poids des eaux contre ces murs forçait l’humilité.
Au dehors, dans mon poisson-papillon qui n’en était pas un, les chose furent autrement plus inconfortables. Peu importe les avancées techniques, je redoutais m’enfoncer au delà des deux-cent premiers mètres, l’obscurité se faisant rapidement suffocante. Au dessus du grand vide, que je devinais sous mes pieds, je me sentis maintes fois en proie au vertige, désespéré de deviner le plancher, de trouver une source de lumière naturelle. Tressaillant au moindre bruit, au moindre cri. Je me sentis rapetisser ; je n’étais finalement plus rien du tout. Un petit bolide dans une immensité. Un poisson tout rond dans un océan d’eau. Une proie, dans la bouche d’un large serpent. « Je suis mort ? », prononçais-je de manière incertaine. Pas cette fois-là, non, pas dévoré par un serpent – mais d’autres. Dans mon cyclope, par la suite, il me sembla ne plus rien avoir à craindre, que rien ne pouvait plus m’atteindre, tandis que je conduisais au rythme des avertisseurs de collision, toujours plus profond, toujours plus profond. Seul, dans ma gigantesque cage d’acier, je cherchais. Une faim à satisfaire, une soif à étancher.
Je ne sais pas si cela t’a vraiment changé les idées comme tu le souhaitais, mais ça a l’air chouette en tout cas :).
Oui ! On se prend au jeu pour ainsi dire. Et je n’ai pas encore tout vu des très grandes profondeurs. (Brrr.) Merci d’avoir lu malgré le manque d’activité !