Chroniques, Le 17

Le 17 : je tends l’oreille

Pause. Je tends l’oreille. Je soulève le casque, pour m’en assurer. Était-ce un léger gloussement, un raclement, une complainte, une toux, un crissement aigu, une régurgitation, un mouvement du sommeil ? L’ai-je imaginé ? Je ne suis plus sûr. Tout semble calme. Je remets le casque, à l’affût du prochain bruit qui viendrait à descendre. Le son, déjà au plus bas, ne me parvient que dans l’oreille droite, de toute façon. L’installation, sommaire, évite qu’il ne se disperse, et me permet de jouer un peu en fin de soirée.

A cette heure, la maison est éteinte. Tous, hormis moi, sont couchés. Le petit dernier, d’un mois tout juste, glapit dans un lit neuf fois plus grand que lui. Dans le mien, mes pieds atteignent le bout. Différentes échelles. A l’heure que nous sommes, mon rôle est de tenir « le premier quart », tandis que ma compagne se repose. Ce qui signifie prêter l’oreille à la diversité des bruits qui peuvent s’échapper d’un nourrisson. Interpréter les « Agu », les « Creeeu », les « Uiiii ». En deviner l’état. Vient-il de se réveiller ? Bruite-il en dormant ? Le phénomène est-il progressif, voire exponentiel ? Ou en voie de s’amenuiser ? Faut-il intervenir prestement ? Mes qualités déductives sont testées.

Face à moi, la télévision est transis. Bénisse le mode pause. Derrière l’écran figé, Dante patiente. Dmc: Devil May Cry Dmc (2013) n’était pas le meilleur choix, étant donné les circonstances. Mais il me fallait bouger en vain, après la fantastique expérience 13 Sentinels : Aegis Rim (2020). Presser des boutons au hasard en espérant faire une combinaison me paraissait satisfaire à l’exigence. Et je préfère me réserver Bayonetta 2 pour plus tard. Il n’empêche, je joue. Même si ce n’est qu’une heure, parfois moins, j’ai ce moment solitaire d’amusement, de dépaysement vigilant, d’attention parentale ludique. Qui contribue à la traversée des journées de travail maussades.

Avoir son enfant dans les bras, de retour du travail, est sans équivalent. Lui faire des bises, observer ses mimiques, ses sourires accidentelles, et ses déformations contrariées du visage. Les journées, bien que déjà lourdes, s’en trouvent immédiatement allégées. L’aberration des administrations qui périclitent n’a plus guère d’importance : je survole. Pourtant, il faut bien, quand je le puis, ce court instant de culture. Dans les livres, les journaux, les séries, les jeux. Une culture qu’on dit non essentiel, mais qui nourrit elle aussi l’esprit, d’imagination, de savoir et de rires. Une culture que je m’imagine déjà partager avec lui. Lui qui ne devine rien de tout cela. Lui qui vient à peine de trouver ses pieds.

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